Se souvenir de Maurice Audin

Histoire • Le jeune et brillant mathématicien fut torturé et assassiné par les parachutistes à Alger en 1957.

Portrait de Maurice Audin peint sur le mur, rue du 19 mai 1956 à Alger. (Saber68)

Le mardi 11 juin 1957, à l’âge de vingt-cinq ans, Maurice Audin est emmené par les paras et torturé, puis «liquidé». Son corps n’a jamais été retrouvé. Il est l’un des 3000 «disparus» pendant la bataille d’Alger. Mais si l’on a beaucoup parlé de lui et pas des autres, c’est qu’il était un Français et non un «Arabe», un «bougnoul», un «raton»! L’un des derniers à l’avoir vu en vie est son camarade communiste Henri Alleg, auteur du célèbre témoignage autobiographique La Question, suivi de la postface de Jean-Paul Sartre Une victoire, et publié à Lausanne par les Editions La Cité en 1958. La même année, son calvaire est relaté par l’historien Pierre Vidal-Naquet dans L’Affaire Audin, qui fait lui aussi grand bruit.

Mais qui était Maurice Audin? Son court passé a été raconté par sa fille Michèle, elle aussi mathématicienne, dans un petit livre à la fois pudique et émouvant, Une vie brève (2013). A l’aide de photos, diplômes, livres de compte, témoignages, etc., elle tente de reconstituer la vie d’un père qu’elle a peu connu, et de donner une dimension humaine à celui qui n’était plus qu’une «affaire» liée à la torture systématique pratiquée par l’armée française lors de la guerre d’Algérie (1954-1962).

Homme attachant

Maurice Audin naît en 1932 à Béjà, en Tunisie, où son père est devenu gendarme. Après divers déplacements, la famille gagne Alger. Etant considéré comme «enfant de troupe», il est admis dans des écoles qui sont de véritables bagnes d’enfants. Après la guerre, il est reçu à l’école d’Autun, qui prépare à la carrière militaire. Mais pour ne pas aller à Saint-Cyr ni devenir officier, il fait ses études secondaires à Alger. A l’université de cette ville, où il fait des études brillantes, il rencontre sa future femme Josette Sempé, également mathématicienne. Plus politisée que lui, elle a adhéré au Parti communiste algérien dès 1950. Ils se marient en 1953 et auront trois enfants.

Thèse reconnue
C’est un homme attachant, qui s’intéresse à la philosophie hindouiste. Une photo montre Maurice en train de lire un numéro de L’Humanité portant le gros titre «Paix en Algérie!». Le couple lit aussi Les Lettres françaises, mensuel alors dirigé par Louis Aragon. Il est membre du Cercle d’étude du cinéma soviétique. Et en 1951, Maurice adhère à son tour au PCA, qui sera interdit en 1955. Il est davantage motivé par le combat anticolonialiste que par la lutte des classes. Dès lors, il mène une activité clandestine, consistant à coller des affiches et à diffuser la presse communiste, mais surtout à «planquer» des militants indépendantistes algériens, avant que le parti ne réussisse à les «exfiltrer». En même temps, il est enseignant-chercheur et rédige une thèse universitaire de grande qualité.

Suite à une série d’attentats du FLN algérien, qui font de nombreuses victimes parmi les civils européens, les pleins pouvoirs de police sont conférés à la 10e Division parachutiste, commandée par le général Massu. Dès janvier 1957 commence alors la «bataille d’Alger», à laquelle le cinéaste Gillo Pontecorvo a consacré un film magnifique. Cette «bataille» est en réalité une vaste opération de répression reposant sur 18’000 interpellations et la pratique généralisée de la torture.

C’est dans ce contexte que Maurice Audin est arrêté et va «disparaître». Le 2 décembre, à Paris, est organisée une «thèse d’honneur», dont l’auteur est déjà mort. Elle donne lieu à une imposante manifestation, en présence de personnalités comme François Mauriac. Maurice Audin est proclamé in abstentia docteur en mathématique. Puis les participants observent une minute de silence. L’affaire va encore se poursuivre jusqu’à nos jours, dans la presse, dans l’opinion publique et en justice. Il semble acquis aujourd’hui que Maurice Audin est mort sous la torture ou a été achevé au couteau par un officier parachutiste. Une place d’Alger et de nombreuses rues et places en France, ainsi que des écoles, portent le nom de celui qui fut martyrisé pour avoir soutenu le droit des Algériens à l’indépendance.