L’avenir du syndicalisme en question

Analyse • La professionnalisation des syndicats crée une réelle rupture entre les travailleurs et le mouvement.

La professionnalisation des syndicats crée une réelle rupture entre les travailleurs et le mouvement.

Les syndicats européens sont une institution acceptée et reconnue par l’ensemble des acteurs politiques actuels. Qu’il soit estimé, méprisé ou craint, le mouvement syndical est un élément avec lequel les gouvernements doivent compter, essayant dans la mesure du possible d’éviter des confrontations synonymes de grèves ou de mouvements populaires susceptibles de remettre en question leur légitimité.

La Suisse et son système de démocratie directe apportent une possibilité d’action supplémentaire aux syndicats. Il est en effet courant que ces derniers se lancent dans la récolte de signatures référendaires ou pour la promotion d’une initiative au côté d’un parti politique. De ce fait, les syndicats et leur capacité mobilisatrice sont une force de premier plan, capable aujourd’hui de faire passer à eux seuls des projets politiques d’envergure.

En Suisse, le principal syndicat du secteur privé est Unia, issu d’une fusion en 2005 entre la FTMH (industrie), le SIB (bâtiment) et la FCTA (tertiaire). Comptant plus de 150’000 membres, disposant de centaines de millions en bourse, gérant la caisse de chômage la plus importante du pays, ce monstre politique a de quoi impressionner par sa taille et sa force. Il a par ailleurs montré sa capacité d’action récemment lors du référendum sur la modification de la LPP, soutenu par le peuple à près de 80%.

Pourtant, de nombreux constats doivent nous amener à reconsidérer le point de vue positif que peut signifier pour la gauche l’existence d’un tel syndicat mobilisateur.

En premier lieu – et ce constat ne se limite pas à la Suisse – le militantisme au sein de l’appareil syndical est d’une faiblesse inquiétante. Les regroupements de membres sont d’envergure dérisoire et les instances décisionnelles, statutairement réservées aux non-salariés, sont de plus en plus désertées. La population militante est, de plus, âgée, et aucune relève de masse ne se fait sentir. L’avenir des syndicats semble compromis et il suffit, pour s’en convaincre, de porter un regard aux chiffres dramatiques de l’évolution des membres, lesquels ne cessent de chuter.

Cette participation réticente à un mouvement collectif de défense des conditions de travail ne surprend pas réellement. L’érosion du nombre de votants au sein de nos démocraties occidentales est finalement relativement comparable. Réussir à réunir une centaine de personnes à Berne pour défendre les places de travail industrielles suisses garantit à Unia une certaine légitimité, mais sur plus de 150’000 personnes, c’est une participation active de moins de un pour mille.

En second lieu, et sans aucun doute en lien avec ce qui précède, la professionnalisation du syndicat a créé une réelle rupture entre les travailleurs et le mouvement. Le paradoxe est qu’on rétribue des secrétaires syndicaux afin qu’ils défendent des gens qui ne sont pas leurs collègues et dont ils ne partagent pas les conditions de travail. Ce faisant, ces derniers se sentent déresponsabilisés face à un syndicat perçu comme externe à leur entreprise. Le secrétaire syndical est devenu un salarié et son lien avec les membres est ténu, ressemblant davantage à un prestataire de service qu’à un compagnon solidaire comme il devrait l’être. Il n’y a plus de présence syndicale dans l’entreprise même et, mis à part quelques valeureux résistants, les valeurs de solidarité collective ne sont plus portées que par des professionnels payés pour cela. Le fonds Prévhor, véritable fonds de prévoyance vieillesse mis en place par le syndicat pour ses membres grâce à l’argent patronal dans les années 1970, est devenu un argument de recrutement. L’objectif de ce fonds est, on en conviendra, bien différent de l’expression de la solidarité syndicale d’alors.

New Public Management

Enfin, l’appareil syndical d’Unia compte actuellement près d’un millier de collaborateurs. Un effectif énorme qui nécessite une organisation et une structure lourdes difficilement compatibles avec les objectifs de militantisme et de développement de relations personnelles que nécessite un syndicat actif et proche des travailleurs. La gestion du personnel syndical est, à Unia, éminemment critiquable puisqu’elle s’inspire du New Public Management, une attitude consistant à mettre la pression sur les collaborateurs pour leur faire atteindre des objectifs individuels. Ces affaires ont suffisamment défrayé la chronique ces dernières semaines.

Face à ce constat amer, il est primordial de parvenir à réfléchir aux défis du syndicalisme actuel afin de pouvoir lui donner une nouvelle légitimité. La responsabilisation des travailleurs et la fin de la professionnalisation syndicale semblent être des prérequis nécessaires à toute ambition de changement sur le long terme. Cela suffira-t-il à créer à nouveau un mouvement syndical digne de ce nom en Suisse ? Difficile à croire tant les lois helvétiques sont à l’avantage du patronat et capable de briser un mouvement ouvrier naissant au sein d’une entreprise.

Ainsi, si le syndicat doit effectuer un réel travail de réflexion sur lui-même et modifier drastiquement son fonctionnement, il est nécessaire que les citoyens eux-mêmes agissent afin de favoriser l’émergence de lois réellement protectrices des travailleurs, qui permettront alors à tout un chacun de défendre sa place de travail en cas de crise ou de délocalisation. La Suisse a la plus mauvaise protection des travailleurs de toute l’Europe. Dans un tel contexte, un syndicat fort et efficace ne saurait émerger. L’évolution ne pourra pas n’être que syndicale, elle devra s’accompagner d’une évolution plus profonde, et politique.