Le métier d’enseignant évolue au rythme de la société

Françoise Gavillet-Mentha livre une analyse de la condition des professeurs au fil des 40 dernières années.

Françoise Gavillet-Mentha livre une analyse de la condition des professeurs au fil des 40 dernières années.

« Un métier désenchanté » : malgré ce que pourrait suggérer son titre, ce livre n’est pas une collation de jérémiades d’un corps enseignant aigri et nostalgique d’un passé idéalisé… C’est à une véritable étude sociologique que s’est consacrée Françoise Gavillet-Mentha. L’auteure réussit presque toujours à éviter le jargon qu’affectionne cette discipline des sciences humaines. L’ouvrage est donc susceptible d’intéresser un assez large public, et d’abord les membres de la congrégation enseignante. L’enquête est centrée sur la génération du baby-boom, soit celle des enseignant-e-s né-e-s entre 1945 et 1950, qui ont connu le début de leur activité professionnelle dans les années 1965-1975, et qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite. Il s’agit donc d’une génération – au sens sociologiquement et culturellement fort du terme – qui a été marquée par l’esprit de Mai 68 et ses retombées pédagogiques. Même si l’éventail des personnes interrogées – neuf hommes et femmes ayant enseigné à l’école secondaire du degré obligatoire – est relativement restreint, et même si cette enquête concerne exclusivement le canton de Vaud, l’exploitation rigoureuse des interviews offre une bonne image des mutations structurelles, sociologiques, culturelles, psychologiques, et des nombreuses réformes qui ont affecté (dans le double sens du mot !) l’école vaudoise. Les cheminements individuels de ces neuf enseignant-e-s sont bien replacés dans leur contexte historique et social, mais aussi économique. On mettra notamment en évidence la concurrence de l’école par d’autres modes d’acquisition du savoir, qui a contribué à la perte de prestige du « maître » et de la « maîtresse », et la place relativement secondaire que certains parents accordent aujourd’hui à l’école dans laquelle évoluent leurs enfants : cette détérioration de leur image sociale semble durement ressentie par les intéressé-e-s. L’auteure insiste aussi sur la mutation des conditions de l’exercice du métier. A l’école secondaire élitaire qu’ont connue ces enseignant-e-s au début de leur activité, s’est substituée une école « de masse » (malgré le relatif échec de la démocratisation au niveau secondaire), aux effectifs beaucoup plus importants, plus ouverte à la fois à une population d’origine étrangère et à des élèves en difficulté personnelle ou familiale. Mais on observe aussi, durant ces quelque quarante dernières années, une dégradation de la situation de l’emploi, dans le sens d’une précarisation. La crainte du chômage, inconnue des enseignants pendant des décennies, est devenue réalité. Sans doute certaines des difficultés observées, qui peuvent expliquer le mal-être d’une génération, tiennent-elles à un facteur banalement biologique, celui, inexorable, de l’âge, et donc du fossé culturel croissant entre le professeur et ses élèves. Le métier a aussi ses spécificités, qui le distinguent des autres professions : ainsi le phénomène de la « carrière plate », c’est-à-dire la quasi-absence d’occasions de promotion et la faible augmentation de salaire entre le début et la fin de l’activité. Le désenchantement observable chez de nombreux enseignants (même s’ils ou elles ont aimé leur métier jusqu’au bout) tient donc à de multiples facteurs. Le mérite de l’ouvrage de Françoise Gavillet-Mentha est d’en proposer une analyse sociologiquement rigoureuse, sans jamais occulter les aspects humains. Refusant certes tout pathos, le livre permet cependant d’entrer en empathie avec une génération d’enseignant-e-s, ses élans, ses espoirs, mais aussi ses doutes et ses désillusions.


Françoise Gavillet-Mentha, Un métier désenchanté. Parcours d’enseignants secondaires (1970-2010), éd. Antipodes, Lausanne 2011.