Le féminisme change-t-il la vie de la société ?

livre • Le féminisme a-t-il tranformé la condition des femmes et fait évoluer les hommes ? Dans un ouvrage, six chercheuses des études genre de l'Université de Genève amorcent des réponses.

Le féminisme a-t-il tranformé la condition des femmes et fait évoluer les hommes ? Dans un ouvrage, six chercheuses des études genre de l’Université de Genève amorcent des réponses.

Le féminisme a-t-il transformé la politique ? A-t-il changé les conditions de travail ? A-t-il redéfini la sexualité ? Les hommes évoluent-ils ? Six chercheuses des études genre de l’Université de Genève donnent des amorces de réponse dans une centaine de pages et ouvrent ainsi la discussion. Elles constatent que les femmes ont gagné en visibilité dans l’espace public tout en soulignant la limite des acquis et en mettant en garde contre des reculs.

« Le privé est politique » clamaient haut et fort les féministes au lendemain des années 68, soulignant que tout « privés » que puissent paraître certains sujets ils sont bel et bien régis par des lois. L’Etat devait intervenir pour gommer les inégalités. En effet, suite à des mobilisations féministes, il y a eu des changements législatifs : dépénalisation de l’IVG dans la majorité des Etats européens, lois sur l’égalité des sexes lors de la formation et de l’emploi. Ces conquêtes des femmes occidentales augmentèrent également la visibilité des femmes d’ailleurs : les organisations internationales estimèrent de leur devoir de se pencher sur leur statut. C’est ainsi que l’ONU a élaboré des conventions sur la non-discrimination (CEDAW) garantissant des droits fondamentaux aux femmes.

Corvées domestiques : négociations au foyer

Rachel Vuagniaux examine l’évolution des rapports au travail. Elle expose que tout en étant en droit égales des hommes, les femmes subissent de nombreuses discriminations professionnelles : elles se trouvent concentrées sur certaines filières et l’accès à des postes de responsabilité leur est difficile. Leur plus grand handicap est de se voir imputer la responsabilité du travail ménager. Les féministes avaient mis en évidence qu’à côté du travail professionnel rémunéré et comptabilisé comme « activité économique », il y en a un autre qui ne l’est pas : l’exécution des tâches domestiques. Celles-ci sont pourtant inséparables de l’organisation actuelle de la société. Malgré certains progrès dans ce domaine, la situation actuelle n’est guère réjouissante : même si les hommes font occasionnellement les courses ou préparent un repas, ils ne consacrent aux travaux ménagers que 17 heures hebdomadaires en moyenne, contre 30 pour les femmes. (Enquête Suisse sur la population active en 2004). D’un certain point de vue, il y a même recul puisqu’à la différence des années 1970, la révolte féminine n’est plus collective et publique mais individuelle : on n’avance plus de propositions pour une organisation de la société garantissant une meilleure répartition de ce fardeau mais on « négocie » à l’intérieur du couple. Voilà donc le problème « redomestiqué » ! Bien qu’à un certain moment le travail professionnel à temps partiel puisse paraître comme une solution, il ne l’est pas : il n’accorde que peu de droits sociaux et lèse financièrement les femmes. Rachel Vuagniaux tire la sonnette d’alarme contre le temps partiel imposé, qui amène à une précarisation du travail féminin et finit par concerner les salariés dans leur ensemble.

Redéfinition des sexualités

Le féminisme a contribué grandement à la redéfinition des sexualités affirme sans hésiter Lorena Parini. Exposant que les conceptions de la « féminité » et de la « virilité » n’ont rien de naturel, mais qu’elles sont des constructions sociales pour régulariser, exclure et réprimer, les féministes ont permis d’ouvrir la discussion sur l’homosexualité. Contestant la sexualité purement reproductive et revendiquant le droit au plaisir, elles ont créé un espace de collaboration entre leur mouvement et les groupes de lesbiennes. Actuellement l’homosexualité n’est plus considérée comme une déviation sexuelle, c’est l’homophobie qui est combattue. Alors que les contrats de partenariat existent, les revendications portent sur le mariage homosexuel et l’homoparentalité. Est-ce une « normalisation » de l’homosexualité se demande la chercheuse qui invite à utiliser le terme « sexualité » au pluriel ?

Plaidoyer pour un regard féministe « décolonisé »

Iulia Hasdeu, anthropologue, dénonce le regard paternaliste de nombreuses féministes occidentales sur les femmes d’ailleurs. Il serait hasardeux de vouloir résumer en quelques phrases les arguments de cette chercheuse, qui prône un féminisme généreux, capable d’inclure toutes les opprimées, quelle que soit la forme d’oppression dont elles souffrent – pas nécessairement la même pour toutes. Elle souhaite un engagement commun de toutes les femmes, malgré leurs différences et/ou leurs divergences.

Le féminisme émancipera-t-il les hommes ?

Christian Schiess, sociologue, mène depuis des années une réflexion sur la domination masculine. Il est l’auteur d’une étude sur La construction du masculin. Comment réagissent les hommes face aux revendications et conquêtes féministes ? Même s’ils sont nombreux à concéder que les femmes subissent des discriminations et des désavantages liés à leur sexe, il leur est difficile de concevoir qu’eux disposent de privilèges, dit le chercheur. Pour expliquer ceci, il cite des recherches de féministes américaines sur les « privilèges raciaux ». Tout antiraciste que soit une personne blanche, homme ou femme, elle n’admet pas qu’appartenir à la race blanche accorde certains privilèges tant individuels que collectifs : être blanc n’est pas vécu comme une identité. De manière analogue, les hommes ont tendance à se percevoir comme des référents « neutres », à partir desquels se mesure la différence des sexes. Ont-ils conscience qu’ils oppriment les femmes ? Même ceux qui le comprennent s’accommodent de cet état de faits. Le féminisme pourrait-il avoir un effet émancipateur chez les hommes ? Certes, sans qu’ils renoncent pour autant à leurs « privilèges masculins ». L’avènement d’une société non-sexiste dépend du rapport de force que les féministes parviendront à établir conclut le chercheur qui nous livre une analyse remarquable.

La lecture de l’ouvrage, réalisé sous la direction de l’historienne Delphine Gardey, professeure à l’Université de Genève, est captivante, même si elle n’est pas toujours aisée. La biographie citée est riche, mais quelques renseignements sur les auteurs des contributions auraient été les bienvenus.


Delphine Gardey (dir), Le féminisme change-t-il nos vies ?, éd. Textuel, Paris 2011, 142 pages, 9,9 euros.
Cet ouvrage peut être commandé à la Librairie populaire, 5 pl. Chauderon, 1003 Lausanne, tél. 021 646 86 75, fax 021 320 06 97, librairie(at)gauchebdo.ch