« C’est dans la cellule familiale qu’il y a le plus de viols »

Pendant le procès Pré-Naville, procès de 1983 traitant d'un viol collectif commis par les Pharaons, un groupe de fascistes, des militantes issues du Mouvement de libération des femmes (MLF) fondèrent le collectif Viol-Secours pour soutenir les femmes victimes de violences sexuelles, leur offrir une permanence, des conseils et un espace d'accueil. Face à l'invisibilité de la problématique des violences sexuelles, les permanentes de Viol-Secours militèrent parallèlement pour amener ce thème alors fortement tabou dans l'espace public, déconstruire les mythes entourant le viol et enrayer les stigmatisations à l'égard les femmes victimes de violences sexuelles. 26 ans plus tard, Viol Secours ne faiblit pas dans son combat pour soutenir ces mêmes femmes. Entretien avec Amanda Terzidis, co-responsable, avec deux autres collègues, de l'association depuis bientôt 4 ans, qui rappelle les dangers inhérents à trop promptement croire que l'égalité hommes-femmes est à portée de main à Genève.

Pendant le procès Pré-Naville, procès de 1983 traitant d’un viol collectif commis par les Pharaons, un groupe de fascistes, des militantes issues du Mouvement de libération des femmes (MLF) fondèrent le collectif Viol-Secours pour soutenir les femmes victimes de violences sexuelles, leur offrir une permanence, des conseils et un espace d’accueil. Face à l’invisibilité de la problématique des violences sexuelles, les permanentes de Viol-Secours militèrent parallèlement pour amener ce thème alors fortement tabou dans l’espace public, déconstruire les mythes entourant le viol et enrayer les stigmatisations à l’égard les femmes victimes de violences sexuelles. 26 ans plus tard, Viol Secours ne faiblit pas dans son combat pour soutenir ces mêmes femmes. Entretien avec Amanda Terzidis, co-responsable, avec deux autres collègues, de l’association depuis bientôt 4 ans, qui rappelle les dangers inhérents à trop promptement croire que l’égalité hommes-femmes est à portée de main à Genève.

Quels sont les constats que vous pouvez tirer de votre travail quotidien de soutien et d’accompagnement ?
Amanda Terzidis Depuis 26 ans, ce que l’on constate est que même si les lois ont changé – bien qu’il reste des progrès à faire sur le plan législatif – les stéréotypes et mythes autour des violences sexuelles restent les mêmes. On vit encore dans une société patriarcale. Toutes les idées reçues autour des violences sexuelles – que les viols auraient lieu majoritairement dans la rue, commis par des inconnus, que les femmes provoqueraient ces situations, que les hommes violent par pulsion ou encore le discours raciste en vogue qui prétend que les viols seraient majoritairement commis par les étrangers – culpabilisent les femmes, déresponsabilisent les agresseurs et influencent négativement la manière dont certains professionnels donnent des réponses aux femmes qui ont vécu ces violences. On prétend donc que l’on ne serait plus dans une société patriarcale, qu’il n’y aurait plus un rapport de pouvoir entre le groupe hommes et le groupe femmes et actuellement, l’analyse structurelle des violences faites aux femmes est soit relayée au second plan, soit niée au profit d’une analyse qui symétrise les rapports entre les hommes et les femmes. Cela nous inquiète et ne reflète pas la réalité à laquelle nous sommes quotidiennement confrontées. A Viol-Secours, nous essayons de contextualiser avec elles ce qu’elles ont vécu avec un angle d’analyse sociale. Notre message de base est que ce ne sont pas elles le problème, qu’elles n’ont pas une maladie, une pathologie psychologique, mais que les violences sexuelles faites aux femmes sont explicables par le fait que nous ne sommes pas dans une société égalitaire. Ainsi, une manière pour les hommes d’exprimer leur pouvoir est d’humilier et de posséder une femme par le viol.

Les viols dans la rue sont-ils minoritaires par rapport aux viols dans un contexte familial ?
Oui, absolument, le fait que les viols se passent majoritairement dans la rue est encore un des grands mythes. Au lieu de s’attaquer davantage à la sphère où il y a le plus de violences sexuelles, à savoir, la cellule familiale, on rejette les problèmes en dehors et on dit que les responsables, ce sont les autres. Alors que la grande majorité des femmes qui franchissent la porte de Viol-Secours ont vécu des violences sexuelles soit de leur père, soit de leur oncle, de leur grand-père, frère, cousin. Les viols dans la rue existent, bien sûr, mais ils ne sont de loin pas la majorité. Ce qui est souvent très compliqué pour les femmes qui ont vécu des violences sexuelles pendant l’enfance est de pouvoir le dire, pas seulement à cause de la terreur et du silence qu’a imposés l’agresseur mais aussi parce qu’il y a souvent un mécanisme alimenté par la société de « On ne va pas me croire » ou « Cela paraîtra trop grand que je parle 30 ans après le viol commis par mon père. » Nous entendons des témoignages de femmes qui ont essayé de parler à des professionnels mais qui n’ont pas été crues car on a encore de la peine à appréhender cette réalité des violences sexuelles dans la famille.
Autre problème rencontré : on pathologise les situations. On va essayer d’expliquer que l’agresseur est un malade, ou a une pathologie. Bien sûr, il y a des hommes qui ont des pathologies. Mais encore une fois cette explication est insuffisante à notre avis. Quand on nous décrit ce qu’il s’est passé, quand le cadre et le contexte ont été posés, nous voyons très bien qu’il y a cette volonté de domination, cette manière d’en retirer du plaisir en imposant son pouvoir. C’est vraiment le désir d’humilier l’autre qui prédomine et non pas une soudaine pulsion sexuelle non réfléchie. Les violeurs ont un schéma construit dans la tête. Que ce soit dans le cadre familial ou dans la rue, le violeur a pensé son schéma. Il n’y a souvent d’ailleurs pas de témoin, et cela n’est pas le fruit du hasard.

Les lois ont-elles évolué ?
Les lois ont évolué dans le fait qu’il y a une plus grande prise en compte des victimes en général, par exemple avec l’apparition de la loi Lavi*. Une de choses que nous aimerions changer, et nous ne sommes pas les seules, c’est l’article sur le viol : est reconnue comme viol en Suisse seulement la pénétration d’un pénis dans un vagin. Toute autre pénétration digitale ou des objets, une fellation ou une pénétration anale, n’est pas considérée comme un viol. C’est directement un héritage de la société patriarcale, ce qui montre qu’on est encore dans cette société-là. La loi découle du Moyen-Âge, où le viol n’était pas puni comme un crime contre une femme mais comme une atteinte aux bonnes mœurs pour préserver la lignée patriarcale, pour empêcher qu’il y ait des descendants hors de la lignée patriarcale prédéfinie. A noter également du coup qu’un homme en Suisse ne peut légalement pas être violé ; on parlera de contraintes sexuelles. Nous pensons aussi que des formations au sein de la justice, notamment des magistrats, sont indispensables pour faire connaître davantage la réalité des violences sexuelles, pour expliquer à un juge que oui, une femme peut être violée pendant 20 ans et rester avec son violeur. On ne le répétera jamais assez mais céder n’est pas consentir. Les questions du type, « Comment cela se fait-il que Madame soit restée avec Monsieur ? Comment cela se fait-il qu’elle sourie sur cette photo alors qu’elle nous dit qu’elle a été violée le soir même ? », sont encore d’actualité au sein des tribunaux. De même que, typiquement : si une femme a bu, le fait qu’elle boive est un élément aggravant pour elle, une espèce de « mise à risque ». Par contre, si l’agresseur est ivre, c’est une circonstance atténuante pour lui ; il aurait été en perte de contrôle. On responsabilise la femme qui a bu et on déresponsabilise l’agresseur qui a bu. C’est pour ces raisons que nous parlons beaucoup des stéréotypes et mythes et qu’il est nécessaire que nous puissions donner notre éclairage féministe sur les violences sexuelles, qui est parfois complémentaire, parfois contradictoire, avec les théories psychologiques.

En moyenne, combien de femmes recevez-vous par année ?
Cela varie entre 100 et 130 femmes, plus toutes les femmes avec qui nous gardons contact depuis parfois des années. Nous sommes toutefois persuadées que c’est juste la pointe de l’iceberg. Nous ne prétendons pas, à trois femmes qui travaillent ici, témoigner de l’ampleur des violences sexuelles en donnant les chiffres de 100 à 130 femmes. Je pense qu’il y en a beaucoup plus. Nous restons très méfiantes par rapport aux statistiques. Elles montrent bien sûr que la très grande majorité des victimes de violences sexuelles restent, aujourd’hui encore, des femmes. Mais si on se fie par exemple aux statistiques de la police, elles ne reflètent pas non plus l’ampleur des violences faites aux femmes, car toutes ne portent pas plainte. Il y a aussi le fait que ces statistiques prétendent refléter, si on ne contextualise pas, que les agresseurs seraient en majorité des personnes d’origine étrangère. Encore une fois, ce n’est pas cela que nous voyons ici. Ces statistiques reflètent simplement qu’on va plus facilement soupçonner, arrêter et condamner un homme d’origine étrangère qu’un homme de nationalité suisse, médecin ou pasteur par exemple. Par ailleurs, certaines femmes de la classe socio-économique élevée violentées dans leur famille, viennent à l’association car l’anonymat est garanti et ne vont non plus pas être en contact avec les hôpitaux publics par exemple, car elles ont des médecins privés. En conclusion, les femmes qui viennent à l’association sont des femmes de toutes origines et de tout milieu de même que leurs agresseurs. Nous restons donc méfiantes envers les statistiques et envers un discours raciste et sexiste qui stigmatise « les autres ».

Le système mis en place à Genève pour les victimes de violences sexuelles est-il suffisant ?
Si on part du principe qu’on a encore besoin de s’attaquer à la problématique des violences faites aux femmes avec l’angle d’une analyse féministe, alors oui, bien sûr, à Genève, il y a encore de choses à faire. Nous devons être très attentives sur la direction que prennent les politiques qui luttent contre les violences faites aux femmes ainsi que les campagnes de prévention. On manque cruellement de campagnes de prévention qui s’adressent spécifiquement à elles. Pour nous, il ne serait pas adéquat, et même plutôt inquiétant, suite aux luttes féministes – c’est grâce à elles que la problématique des violences faites aux femmes a été rendue visible – qu’on oublie cela en prétendant que maintenant, on ne vit plus dans une société patriarcale, que l’égalité aurait été atteinte. Ce discours-là nous inquiète fortement. Le même discours qui dit que l’égalité serait donc présente en Suisse, nous dit que des groupes migrants seraient encore dans un rapport inégalitaire entre hommes et femmes. Et là, des professionnels sont d’accord de faire des campagnes de prévention ciblées… Pour notre part, nous refusons cela : cela stigmatise des communautés étrangères, revient à dire que les Suisses auraient atteint l’égalité et ne reflète pas la réalité.

Faites-vous partie de la Commission consultative du Bureau du délégué aux violences domestiques ?
Oui. Nous essayons toujours d’y apporter notre analyse féministe des violences faites aux femmes. Nous restons attentives à la tournure que prennent certaines discussions ou certaines décisions dans la mesure où c’est un organe qui oriente les politiques du canton. Nous attirons l’attention sur le fait de ne pas tout mélanger, à savoir les violences faites aux enfants, faites aux femmes, faites aux hommes. Il ne s’agit pas de nier qu’il y a des violences commises par des femmes, mais à notre avis, pour les analyser, il ne faut pas rester dans une analyse psychologique qui symétrise les rapports. Ceci est valable tant pour des projets de prévention, que pour la reconstitution de la personne. C’est essentiel de s’en rappeler.

www.viol-secours.ch

*Loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infraction

Une campagne d’affichage fourre-tout

Rattaché au Département de la Sécurité, de la police et de l’environnement (DSPE), le Bureau du délégué aux violences domestiques (BVD) est entré sur la scène étatique genevoise en 2007 pour développer une politique publique en matière de violences domestiques et faire le relais entre l’Etat et les associations du terrain. Deux fois par an, il réunit sa Commission consultative, dont Viol-Secours fait partie, pour débattre des décisions et des projets du BVD. A la date symbolique du 14 juin 2011, la campagne de prévention « Stop violences domestiques », initialisée par le BDV et soutenue par le DSPE, a été lancée dans les trams. Le but : sensibiliser la population genevoise à la thématique des violences domestiques et attirer l’attention sur les soutiens (ligne d’écoute 24H/24, 7J/7, site internet) à disposition des victimes de ces violences, mais également de leurs auteurs.
En effet, à côté de « Je ne me sentais plus en sécurité chez moi » apparaît « J’ai menacé de mort ma copine ». Non contente de mettre sur un pied d’égalité les victimes des violences et leurs auteurs, la campagne met également en parallèle et symétriquement les violences faites aux femmes à celles faites aux hommes (« Violée » brille en lettres de sang non loin de « Insulté »). Enfin, la thématique de la violence faite aux enfants est également abordée avec « Je frappais ma fille dès qu’elle m’énervait ». Si l’on ne peut qu’admirer la volonté de briser les tabous entourant encore aujourd’hui la thématique des violences domestiques, l’incitation à « oser en parler », la mise en place de services de soutien et une politique publique de lutte contre les violences domestiques, la campagne de prévention apparaît cependant comme une campagne fourre-tout où tous les éléments des violences domestiques se mélangent et où la symétrisation des violences faites aux femmes et faites aux hommes semble promouvoir une égalité homme-femme qui, dans les faits, reste encore à atteindre.

www.ge.ch/violences-domestiques/stop-violences2011