« La gauche de gauche doit dépasser ses divergences »

ville de genève • Nouveau maire depuis le 1er juin et pour une année de la Ville de Genève, Rémy Pagani, qui reprend aussi en interim le Département de Pierre Maudet, nous parle de ses priorités de son année de présidence du Conseil administratif et notamment de ses objectifs de lutter contre la droite populiste en proposant des solutions progressistes, de construire 360 nouveaux logements par année ou de ne pas privatiser le cable-opérateur Naxoo.

Nouveau maire depuis le 1er juin et pour une année de la Ville de Genève, Rémy Pagani, qui reprend aussi en interim le Département de Pierre Maudet, nous parle de ses priorités de son année de présidence du Conseil administratif et notamment de ses objectifs de lutter contre la droite populiste en proposant des solutions progressistes, de construire 360 nouveaux logements par année ou de ne pas privatiser le cable-opérateur Naxoo.

Votre collègue du Conseil administratif, Pierre Maudet vient d’être élu au Conseil d’Etat, en devançant la candidate socialiste, Anne Emery-Torracinta. Comment analysez-vous ce résultat ?
Rémy Pagani Cette élection a surtout été marquée par une progression des voix du MCG dans les quartiers populaires. Eric Stauffer a réalisé un score impressionnant par rapport à Anne Emery-Torracinta dans un quartier comme la Jonction. C’est préoccupant et soulève des questions. Dans cette élection la gauche de la gauche n’était pas présente pour contester l’extrême droite populiste et ses perspectives trompeuses. Plutôt que de se perdre dans des querelles intestines, elle doit trouver une dynamique unitaire en s’inspirant par exemple de ce qu’a fait Jean-Luc Mélenchon en France avec le Front de gauche. Il faut affronter les thématiques qu’aborde la droite en proposant des solutions progressistes. Sur la question des Roms, pour ne prendre qu’un exemple, nous devons aller vers une politique de partenariat social plutôt que de stigmatisation.

Seriez-vous intéressé par vous présenter au Conseil d’Etat en 2013 ?
Aujourd’hui, mon objectif est que la gauche à la gauche du PS revienne au Grand Conseil en 2013. C’est indispensable d’autant que le PS au niveau cantonal prend un virage de plus en plus centriste, sa position d’acceptation de la Constitution néolibérale en est un symptôme. Pour y arriver, nous devons décider d’une liste unitaire et unique afin de décrocher les 14% de voix que l’on peut prétendre atteindre. Ceux qui penseraient y arriver en partant seuls et sans unité se trompent. Je n’ai pas l’ambition de postuler au Conseil d’Etat. J’ai suffisamment de travail au Conseil administratif. De toute façon, la question d’une candidature au Conseil d’Etat ne se posera qu’après les législatives.

Quel est le projet principal que vous entendez mettre en avant dans votre année de maire ?
Je prévois d’aller voir 12 multinationales ou banques qui ont plus de 500 employés sur la commune et de leur demander de s’engager à mettre à disposition du logement pour eux. Je ferai un bilan de cette action chaque mois. Je peux déjà annoncer que la multinationale de négoce de pétrole Trafigura, qui compte 450 salariés en ville de Genève, prévoit de construire plus de 30 logements pour ses employés suite à ma demande.

Le manque de logement reste un problème récurent. La Ville annonce qu’elle construira 360 logements chaque année, soit 10% de l’effort cantonal. Comment créer de l’habitat sans densifier à outrance et nuire à la qualité de vie ?
Certains quartiers comme la Jonction ou les Pâquis sont déjà pleins comme des œufs et il est hors de question de les densifier plus en surélevant les immeubles, comme le propose la droite. Cependant, il est possible de construire encore dans la couronne urbaine comme, par exemple, à Champel à l’avenue Rosemont, aux Eaux-Vives dans le secteur des Allières ou encore aux Eidguenots, à l’avenue d’Aïre. Avec les 5-6 millions inscrits au budget, nous pouvons préempter des terrains comme je l’ai fait au Mervelet, près du Petit-Saconnex. En rachetant aussi à des particuliers, notre objectif de construire 3’600 logements en ville de Genève à l’horizon 2020 est réaliste.

Cette semaine s’est tenu le Sommet Rio +20. Est-ce que la Ville de Genève, qui a adopté l’Agenda 21, en fait assez en matière de protection de l’environnement et de développement durable ? Est-ce que l’on peut développer la mobilité douce comme le vélo alors que la qualité de l’air du fait du trafic motorisé est mauvaise ?
J’essaie de soutenir toutes les propositions d’alternatives au trafic motorisé individuel et aux maux qu’il entraîne, par exemple en soutenant le CEVA. Par rapport à ce projet, je suis en faveur d’une gare souterraine à Cornavin. Cette solution permettra de résoudre le problème d’engorgement du site, en créant trois voies au lieu d’une en direction du pont de la Jonction et en permettant une cadence de train toutes les 13 minutes, ce qui sera impossible au moment de l’inauguration du CEVA. Cela permettra d’absorber beaucoup plus de voyageurs que la variante à deux voies qui devront être redoublées d’ici 2070. La proposition de créer un téléphérique entre Veyrier et Carouge me semble aussi intéressante. On peut et on doit faire plus également pour encourager l’usage du vélo. En matière de développement durable, il faut aussi renforcer le programme de rénovation des vieux bâtiments de la Ville de Genève qui utilise de nouvelles technologies de pointe en matière d’économies d’énergie.

Qui paiera le surcoût d’une gare souterraine à Cornavin ?
A Zurich, la Ville a avancé l’argent, puis les CFF ont remboursé. La Ville de Genève peut en faire de même, tout en épargnant le quartier des Grottes et en réalisant le Plan localisé de quartier qui a été adopté. L’extension prévue par les CFF à Cornavin implique un « saut-de-mouton » à Sécheron indispensable dans le futur pour la variante en surface. Celui-ci coûtera 250 millions. Il pourrait être utilisé pour financer cette gare souterraine en plus des 790 millions prévus.

Les TPG ont modifié leurs lignes de tram depuis le début de l’année. Est-ce que ce nouveau réseau vous satisfait ?
J’attends avec impatience le rapport de Vincent Kaufmann, professeur de sociologie urbaine et d’analyse de la mobilité que j’ai mandaté, mais, à mon avis, les TPG doivent revenir sur leur décision de supprimer les lignes entre Cornavin et Carouge et Thônex (lignes 13 et 16). Supprimer une liaison directe entre la gare et ces deux communes est insensé.

Faut-il vendre le câblo-opérateur Naxoo à des privés comme le demande la droite ?
Naxoo fait un chiffre d’affaire de 40 millions par an. L’entreprise a enregistré un bénéfice d’un million cette année. Elle compte 83’000 abonnés en Ville et 150’000 dans le canton. C’est la raison pour laquelle la droite veut privatiser cette entreprise. C’est typique du néolibéralisme actuel. Cent emplois sont aussi en jeu. Cablecom qui dépend de la mutlinationale US Liberty Global basée à Denver est prêt à racheter Naxoo pour 55 millions. Leur objectif unique sera de maximiser leur bénéfice. Donc, les abonnements vont sans doute augmenter pour recevoir, dans le même temps, moins de chaînes. C’est inadmissible. Il faut au contraire voir si l’on peut inscrire Naxoo dans une logique de collaboration avec les autres opérateurs publics en la matière notamment les SIG. Le Conseil municipal devra trancher de cette question cet automne par une décision soumise à un éventuel référendum.

Vous venez de revoir Moncef Marzouki, le président tunisien et rencontré la Prix Nobel de la Paix, Aung San Suu Kyi. Est-ce que vous allez encore beaucoup vous engager au niveau international cette année ?
En reprenant le département de Pierre Maudet, je vais passer de 250 employés à 1’500 jusqu’à la fin de l’année, j’ai suffisamment de quoi faire. Je serai donc beaucoup présent à Genève avant tout. Mais je ne suis pas une potiche. Tous les postes que j’ai occupés par le passé, comme secrétaire syndical au SSP ou député, j’ai essayé de les revisiter et de les habiter complètement. Je me mets à la disposition des personnes que j’ai parfois connues en tant qu’opposant de la base, mais qui sont aujourd’hui au pouvoir, comme c’est le cas avec Moncef Mazourki. J’ai écrit au Conseil fédéral pour qu’il débloque les 60 millions d’avoirs du clan Ben Ali. Cette somme reste faible, mais comparée à l’aide suisse à ce pays qui vient de passer de 12 à 24 millions, elle peut aussi contribuer à lutter contre le chômage et la misère maintenant. Je serai aussi présent à Paris au Congrès des opposants iraniens, suite à mon soutien aux réfugiés iraniens du camp d’Achraf. Je réponds aux invitations. En ce qui concerne Aung San Suu Kyi, je lui ai envoyé une lettre pour lui rappeler que le CICR met en place un programme pour en finir avec l’enrôlement d’enfants-soldats. Ce programme a eu beaucoup de succès en République démocratique du Congo, je l’ai constaté sur place. Je suis prêt à m’engager pour faire de même en Birmanie.

Est-ce qu’il y a une personne que vous voudriez particulièrement inviter à Genève durant cette année ?
Le journaliste et militant pacifiste israélien, Michel Warschawski. J’ai toujours été impressionné par sa capacité d’analyse. Je voudrais aussi que la Ville invite Jean-Luc Mélenchon. Ces personnes sont exemplaires du fait qu’elles essaient de trouver des solutions progressistes face à la barbarie qui nous attend engendrée par le système capitaliste.

La Gauche, coalition qui tente de fédérer les forces de la gauche de la gauche au niveau national, tient congrès le 30 juin. Qu’en pensez-vous ?
Pour ne pas finir en rencontres de cabines téléphoniques, la gauche à la gauche du PS doit dépasser ses divergences de chapelles. Il faut prendre conscience que partout en Europe, des gouvernements et partis veulent imposer leurs solutions réactionnaires à la crise. Si la gauche ne se réunit pas pour proposer nos solutions révolutionnaires, on sera laminés et on n’existera plus d’ici quelques années.


(photo Carlos Serra)