« Peut-on se targuer d’être de gauche quand on attaque les acquis sociaux ? »

Le 17 janvier, le Conseil d'Etat a menacé de révocation Rémy Pagani, conseiller administratif de la Ville de Genève, pour s'être rendu à deux séances du conseil d'administration des Transports publics genevois (TPG). « Une décision grotesque et pitoyable » selon le magistrat d'Ensemble à gauche. Il a d'ailleurs recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice contre l'amendement ad hoc voté en octobre par le Grand Conseil visant à lui interdire de siéger aux TPG. Au-delà de cette nouvelle passe d'armes entre Canton et Ville, que certains qualifieront de « Genferei », Rémy Pagani fait avec Gauchebdo le tour des dossiers chauds du moment et revient sur les prochaines élections cantonales qui se dérouleront cet automne.

Le 17 janvier, le Conseil d’Etat a menacé de révocation Rémy Pagani, conseiller administratif de la Ville de Genève, pour s’être rendu à deux séances du conseil d’administration des Transports publics genevois (TPG). « Une décision grotesque et pitoyable » selon le magistrat d’Ensemble à gauche. Il a d’ailleurs recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice contre l’amendement ad hoc voté en octobre par le Grand Conseil visant à lui interdire de siéger aux TPG. Au-delà de cette nouvelle passe d’armes entre Canton et Ville, que certains qualifieront de « Genferei », Rémy Pagani fait avec Gauchebdo le tour des dossiers chauds du moment et revient sur les prochaines élections cantonales qui se dérouleront cet automne.

Le Conseil d’Etat vous menace de destitution, considérant que « vous avez violé votre devoir de fonction et votre serment de magistrat communal » en vous rendant, par deux fois, en décembre au Conseil d’administration des TPG. Qu’est ce que vous répondez à Michèle Künzler et au gouvernement ?
Rémy Pagani Il faut rappeler que la Ville de Genève finance aussi les TPG. Nous avons par exemple versé 60 millions pour la ligne TCOB (Cornavin-Onex-Bernex) et effectuons, bon an mal an, des travaux à hauteur de 10 millions par an. J’ai donc toutes les raisons d’être au conseil d’administration des TPG, là où les décisions se prennent pour pouvoir en référer au Conseil administratif.

Or la Lex Pagani qu’invoque le Conseil d’Etat fait fi, du droit supérieur, en l’espèce du principe de l’autonomie communale, mais aussi des dispositions de l’art 155 de la Constitution genevoise en vigueur. Cet article prévoit explicitement que : « Les conseillers administratifs peuvent […] appartenir, à titre de délégués des pouvoirs publics, aux conseils d’institutions de droit public, de sociétés ou de fondations auxquelles la Confédération, l’Etat ou les communes sont intéressés ». Il en découle que comme conseiller administratif, j’ai constitutionnellement le droit d’appartenir à titre de délégué de la Ville au conseil d’administration des TPG, où je siège depuis 2007 et où j’ai été reconduit en septembre dernier.

Mais surtout, la Ville de Genève et ses habitants ont, de leur côté, le droit constitutionnel de se faire représenter par le magistrat en charge de l’aménagement et au contact, par son activité, avec l’essentiel des projets des TPG. La modification de loi que le Conseil d’Etat cherche abusivement et précipitamment à appliquer viole grossièrement le droit supérieur !

D’autant que le peuple genevois s’est opposé en juin 2012, pour la deuxième fois, à la vision du Conseil d’Etat en matière de gouvernance des régies publiques qui prétendait les « dépolitiser » alors qu’on a vu depuis le PLR truster les conseils de toutes les institutions publiques genevoises. Pourtant, Michèle Künzler, faisant fi de ce vote populaire, en octobre, a proposé une loi pour modifier la gouvernance des TPG, car elle ne voulait plus siéger au conseil d’administration. Dans le même temps, le député PLR, Daniel Zaugg a fait passer un amendement sur mesure visant à m’exclure des TPG, une décision contre laquelle j’ai recouru, réclamant un effet suspensif. Durant cette période de demande de suspension, je me suis alors rendu à deux séances du conseil. Tout s’est bien passé lors de la première et ma présence a été approuvée par la commission de finances des TPG. Lors de la deuxième, la présidente, la Verte Anita Frei a décidé de lever la séance du simple fait de ma présence. C’est sur cette base que tout le Conseil d’Etat, comme un seul homme, a lancé sa procédure disciplinaire contre moi pour « parjure », ce qui pourrait aller jusqu’à la révocation.

« Le Conseil d’Etat fait preuve
d’arbitraire et d’indignité »

Où en est-on dans la procédure ?
J’ai fait recours contre les effets de la nouvelle loi et demandé la restitution de l’effet suspensif qui m’a été finalement retiré le 22 décembre. Je me suis conformé à cette décision, en ne me rendant plus au conseil des TPG depuis cette date. Aujourd’hui, on en est à un échange d’écriture sur le fond. Je prétends que cette loi est complètement arbitraire. Le gouvernement n’a d’ailleurs aucun argument contre moi et fait montre d’indignité, en suivant la décision taillée sur mesure par Daniel Zaugg. Comment, par exemple, expliquer que le maire de Chevrier, Bernard Gaud puisse continuer à siéger dans ce conseil d’administration et pas moi, qui ai été mandaté par le Conseil administratif et par le Conseil municipal ?

C’est tellement ubuesque que le gouvernement a suspendu l’enquête disciplinaire contre moi en attente du jugement sur la loi. Il faut dire que si le tribunal me donne raison, la procédure disciplinaire n’a plus raison d’être, quoique le Conseil d’Etat puisse toujours me chercher des poux, en critiquant, par exemple, le fait que je sois allé devant le conseil d’administration des TPG accompagné des militants venus me soutenir. Ceux-ci sont pourtant restés dans la cafétéria, à la porte du conseil. En fait, la droite a la gauche combative dans le collimateur, comme on l’a vu quand le procureur Olivier Jornot a décidé de perquisitionner le bureau du juge Devaud dans l’affaire de la Cour des comptes.

« J’ai contesté les augmentations
de tarifs des TPG »

Pourquoi tenez-vous tant finalement à être présent dans ce conseil d’administration des TPG ?
Ma présence est justifiée car je suis responsable du Département des constructions et de l’aménagement de la Ville. Par ailleurs, j’ai des propositions à faire pour améliorer les infrastructures en question, importantes pour tous les Genevois et pas seulement les plus riches.

Le rapport que j’ai commandé (ce qu’on me reproche) au sociologue Vincent Kaufmann et à l’urbaniste Antoine Messer a montré comment le Conseil d’Etat et les TPG s’étaient fourvoyés avec leur nouveau réseau, qu’il péchait du fait de mauvais transbordements ou qu’il fallait améliorer sa vitesse.

Délégué par le Conseil administratif, j’ai aussi contesté par deux fois les augmentations de tarifs. J’ai pu m’y opposer en 2010, mais, en 2011, ils ont finalement augmenté. C’est donc une bonne raison de voter OUI le 3 mars à l’initiative de l’Avivo à ce sujet. Tous ces motifs et le fait que certains au conseil d’administration des TPG, et surtout le Conseil d’Etat, n’acceptent pas l’esprit critique que j’amène, font que l’on veut m’évincer de ce conseil.

Pourtant comme dans le dossier de l’agrandissement de la Gare Cornavin, on a souvent l’impression qu’il n’y a personne dans le cockpit du gouvernement pour diriger l’avion. J’ai dû batailler durant deux ans pour qu’il accepte d’étudier d’autres alternatives. On m’accuse alors de faire du militantisme. Pour moi, un magistrat ne doit pourtant pas être corseté dans sa fonction, mais aussi mener de vrais combats en faveur de la population.

La Ville vient de décider d’augmenter l’âge de la retraite des employés municipaux. Est-ce juste ?
J’y suis évidemment opposé, comme l’ensemble du groupe Ensemble à gauche. Il faut appliquer le statut du personnel qui est entré en vigueur il y a peu et qui consacre la retraite à 62 ans. C’est une parole donnée qu’il faut respecter ! Les syndicats et le personnel ont raison de se mobiliser dans ce sens. Suite à l’amendement des radicaux qui demandaient un changement unilatéral du statut en la matière, Sandrine Salerno, Sami Kanaan et Esther Alder, qui ont pourtant souscrit à un accord selon lequel ils combattraient l’élévation de l’âge de la retraite, ont approuvé cette hausse pour tout le monde. Dans le bâtiment, les maçons se sont battus pour une retraite anticipée dès 60 ans, financée par répartition. En Ville, nous avons du personnel, comme à la Voirie, qui vit les mêmes conditions de pénibilité du travail. C’est aberrant de relever leur âge de départ à la retraite !

« On assiste à une droitisation
des socialistes et des Verts »

Y a-t-il de l’eau dans le gaz au sein de l’« Alternative », entre PS, Verts et Ensemble à gauche ?
Dans l’affaire des TPG, les magistrats cantonaux ont suivi le gouvernement, mais, au plan de la Ville, leurs élus au conseil municipal ont voté une motion de soutien en ma faveur. Mais autrement, c’est vrai, on assiste à une droitisation du PS et des Verts qui ne respectent pas nos accords, comme en matière de retraite, tout en demandant, paradoxalement, de faire une liste commune au premier tour pour le Conseil d’Etat.

Peut-on se targuer d’être de gauche quand on attaque les acquis sociaux ou qu’on s’en prend à des magistrats de gauche qui défendent les intérêts du plus grand nombre ? …ou qu’on coupe dans les prestations pour les personnes âgées comme lors du débat budgétaire lors duquel nos représentants au Conseil municipal ont été empêchés de s’exprimer contre cette idée du MCG par l’imposition arbitraire d’une clause guillotine empêchant le débat. Ce qui a aussi été le cas, soit dit en passant, sur les retraites…

Le Canton a décidé de geler le projet Vélib de vélos en libre disposition. Est-ce que cela vous désole ?
La Ville a fait son travail. Christian Ferrazino avait lancé le projet avec la Société générale d’affichage (SGA). Cela a duré. J’ai alors ressorti le dossier, réuni les maires des communes intéressées et les TPG. Cela a permis de lancer la machine. Le Conseil municipal a même voté les implantations des vélos avec un crédit de 3,5 millions. On était dans les starting-blocks. Le problème c’est que la droite, une fois de plus, ne veut pas cette infrastructure nécessaire pour Genève.

« Il est important de fixer un cadre
à la police municipale »

En novembre, vous avez fait passer un règlement pour la police municipale que votre nouveau collègue en charge du dossier, Guillaume Barazzone, considère comme « bâclé ». Que lui répondez-vous ?
L’objectif de ce règlement était d’obéir à quatre priorités, mises en forme par l’ancien conseiller d’Etat socialiste Bernard Ziegler. La première de celles-ci est de rendre la police plus présente et visible au service des habitants. Nous sommes en train d’augmenter de 25 unités les effectifs par an. Ce n’est pas pour que les policiers restent dans les bureaux. Les deuxième et troisième priorités sont de lutter réellement contre les délits et de prévenir les dangers de la circulation routière, en amendant les fautifs. La quatrième priorité est le respect des libertés publiques des citoyens, par exemple leur droit de distribuer des tracts, etc. Le règlement permet de décliner ces objectifs, alors qu’aujourd’hui, la police municipale n’arrive pas à se centrer. Il est important pour définir ce qu’est une police de proximité, vue de la gauche, en fixant un cadre dans le respect de règles de proportionnalité. C’est ce que ne voulait pas entendre Pierre Maudet, de même que son successeur Barazzone qui ne désire, lui non plus, édicter aucun règlement, car ils préfèrent avoir les mains libres et faire ce qu’ils veulent de la police municipale. Pour l’heure, ce règlement est entre les mains de la commission de sécurité du municipal. Mais la semaine dernière, celle-ci a décidé de le suspendre pour deux ans. Les socialistes se sont abstenus sous prétexte que Pierre Maudet allait préparer son propre règlement. Comme si l’on devait accepter de se faire dicter le positionnement de la police municipale par la droite et par le nouveau conseiller d’Etat !

« La gauche combative doit être
représentée au Grand Conseil »

En octobre se dérouleront les élections cantonales. Allez-vous vous présenter et quelle est la stratégie que doit suivre Ensemble à gauche ?
Oui et les 14% environ de voix que pèse la gauche combative dans la population doivent impérativement être représentées au Grand Conseil. On n’y arrivera que si toutes les forces à la gauche du PS se regroupent, sans conditions déraisonnables ni chipotage, sur une liste commune. On l’a fait en Ville au printemps 2011, ce qui nous a permis de gagner des sièges et de passer devant les Verts, c’est donc possible.

Ne vous présenterez-vous pas au Conseil d’Etat si vous êtes tête de liste au Grand Conseil ?
La question du Conseil d’Etat ne se pose pas aujourd’hui. Nous sommes censément une majorité de gauche au Conseil administratif, mais je suis obligé de me battre comme un beau diable pour tenter d’imposer des positions de gauche. Et ce n’est pas gagné d’avance comme on le voit avec la vente de la société de câble Naxoo ou l’augmentation de l’âge de la retraite.

Mais il y a en Ville des potentialités de mener une politique de gauche avec un parlement ayant une majorité (relative) de 38 élus officiellement à gauche ou verts. Est-ce que je devrais troquer cette situation quand même favorable pour aller au Canton où la « gauche » risque fort de rester minoritaire au Conseil d’Etat… et où les rapports de force au parlement cantonal sont bien plus défavorables qu’en Ville ? A ce stade, c’est sur le terrain social, associatif et syndical qu’on doit faire avancer le rapport de force d’abord, pas « par en haut » au gouvernement cantonal.