Les jeunes doivent prendre le relais pour que l’égalité se réalise

Il y a deux phrases qui irritent la « vieille féministe » que je suis : « Moi, je ne suis pas féministe ! », généralement prononcée avec un haut-le-cœur, comme s’il s’agissait d’une obscénité, par des femmes qui occupent une situation importante. Parmi elles, beaucoup de Françaises pour qui le féminin de « ministre...

Il y a deux phrases qui irritent la « vieille féministe » que je suis : « Moi, je ne suis pas féministe ! », généralement prononcée avec un haut-le-cœur, comme s’il s’agissait d’une obscénité, par des femmes qui occupent une situation importante. Parmi elles, beaucoup de Françaises pour qui le féminin de « ministre », « maire », etc. semble une insulte. Pour moi, ce sont des traîtresses qui ne veulent pas admettre ce qu’elles doivent aux luttes des femmes. La deuxième assertion insupportable est : « Puisque les femmes ont obtenu tous les droits, il n’est plus nécessaire de descendre dans la rue. »

C’est vrai, les femmes, dans les pays occidentaux, au prix de longues luttes que certaines ont payé de tortures ou de leur vie, les femmes ont obtenu tous les droits, sur le papier. Mais hélas pas dans les faits.

Rappelons quelques chiffres. Au niveau mondial, selon un rapport de l’ONU, les femmes assument les 2/3 du travail (y compris domestique), touchent 10% des salaires et possèdent 1% de la propriété. Dans aucun pays au monde, les femmes ne reçoivent un salaire égal à celui des hommes. Dans les parlements, les femmes sont minoritaires, sauf à Andorre, où elles sont 50%, et au Rwanda, 56,3%. Les pays nordiques se distinguent avec une représentation allant de 40 à 45%. La Suisse se classe au 31e rang, avec 29% au Conseil National (19,6% aux Etats), derrière l’Espagne, la Serbie, la Slovénie, l’Algérie. Encore plus rares sont les cheffes d’Etat. A ce jour, dans le monde, elles ne sont que cinq : Angela Merkel en Allemagne, Helle Thorning-Schmidt au Danemark, Johanna Sigurdardottir en Islande, Yingluck Shinawatra en Thaïlande, Portia Simpson-Miller en Jamaïque. A part l’Allemagne, les autres pays ne pèsent pas lourd dans les décisions mondiales. Personnellement, je trouve déprimantes les photos officielles des chef-fe-s d’Etat de l’UE, du G20 et autres sommets censés prendre des décisions qui engagent la marche du monde : une ou deux jupes perdues dans une montagne de complets gris et noirs.

Du côté de l’économie, ce n’est guère mieux. Angela Merkel s’est insurgée contre leur faible présence dans les conseils d’administration : 29 administratrices dans les 200 plus grandes sociétés. En France, les femmes représentent 20%, en Grande-Bretagne 12%, en Suisse 8%, en Italie 3% et au Japon 0%. Devant cet état de fait, les pays nordiques ont décidé d’imposer des quotas, suivis par d’autres. Or plusieurs études américaines ont démontré que les entreprises où il y a plus d’un tiers de femmes dans les conseils d’administration se portent mieux que les autres et ont mieux résisté à la crise. Il serait temps que l’économie en tienne compte.

En Suisse, l’égalité au travail a été inscrite dans la loi en 1981, or les femmes gagnent toujours 20% de moins que les hommes et les procès sont rares. Il faudrait exiger la transparence des salaires et accompagner les femmes qui osent dénoncer les disparités ou porter plainte. En outre, comme partout, elles subissent les effets pervers du « plafond de verre » qui les empêche souvent de monter dans la hiérarchie. Si l’on examine les schémas, on constate que plus on monte dans la hiérarchie, plus les femmes sont rares. Il faudrait non seulement modifier les mentalités, qui continuent de considérer les femmes comme inférieures, mais faciliter leur intégration au monde du travail, de la politique et de l’économie par un nombre suffisant de structures de prise en charge des enfants. Il faudrait également partager le temps partiel entre les hommes et les femmes, ainsi que les tâches éducatives et ménagères. Aujourd’hui, 80% de celles-ci sont assumées par les femmes.

Le premier objet des votations fédérales du 3 mars 2013 porte sur la politique familiale, qui veut promouvoir les conditions permettant de concilier la vie familiale avec l’exercice d’une activité lucrative ou avec une formation : offrir des structures extra-familiales et parascolaires comme des crèches, des écoles à horaire continu, des unités d’accueil pour écoliers, des cantines. Aujourd’hui, il manque en Suisse 120’000 places d’accueil. A part l’UDC, qui veut renvoyer les femmes à la maison, tous les partis sont favorables à cet arrêté. J’espère qu’il passera.

Au poids que portent les femmes, il faut ajouter que 80% des familles monoparentales sont gérées par une femme, qu’on y trouve de nombreuses situations de pauvreté ; 80% des travailleurs et travailleuses pauvres sont des femmes. Comme elles ont généralement réduit leur temps de travail à la naissance des enfants, elles ont également une retraite diminuée.

J’aimerais que les jeunes femmes prennent conscience de toutes les inégalités qui perdurent et qu’elles luttent pour que l’égalité entre dans les faits. Il faut revoir les manuels scolaires, tous sexistes, revendiquer des structures d’accueil, un travail partiel pour tout le monde, le partage équitable des tâches éducatives et ménagères, un congé parental, une aide substantielle aux familles monoparentales, une représentation paritaire dans les instances politiques et juridiques, ainsi que dans les conseils d’administration. Alors, peut-être que nous vivrons dans un monde plus juste.

A celles et ceux qui me demandent pourquoi je suis « encore féministe », comme si c’était ringard, je réponds que je lutterai aussi longtemps qu’il subsistera des inégalités entre les hommes et les femmes, et que, promis, je me tairai quand l’égalité existera dans les faits. Au train où vont les choses, je suis sûre de mourir la bouche ouverte.