Le témoin des conflits et de leurs victimes

photographie • Le Musée de l'Elysée consacre une exposition à Gilles Caron, le « Capa français » présent sur tous les terrains brûlants.

Le Musée de l’Elysée consacre une exposition à Gilles Caron, le « Capa français » présent sur tous les terrains brûlants.

Il y a plus d’une parenté entre l’illustre photographe hungaro-américain du conflit espagnol et son jeune collègue. Les deux hommes ont disparu en Indochine, Robert Capa au Viêt Nam en 1954, Gilles Caron au Cambodge en 1970. Né en 1939, ce dernier fait vingt-deux mois de service militaire comme parachutiste en Algérie. Cette expérience de la guerre le marque profondément. Devenu photographe de presse, membre fondateur de l’équipe de la fameuse agence Gamma, « Caron comprend tout de suite qu’il faut mettre la figure du civil au centre du reportage, ce civil qui, par sa souffrance, donne à comprendre les enjeux de la guerre moderne » (Michel Poivert). Il couvre la guerre des Six-Jours, le Viêt Nam, la guerre civile au Biafra. Physiquement courageux, il est toujours, comme son illustre aîné, au plus près de l’événement : ainsi au Viêt Nam, au milieu des durs combats de la « colline 875 » à Dak To. Il est aussi le photographe des rébellions : Mai 68 à Paris, les manifestations antisoviétiques de 1969 à Prague, la révolte des catholiques en Irlande du Nord. On lui doit la photographie, devenue célèbre, de Daniel Cohn-Bendit narguant un CRS par le regard et le sourire.

On notera d’abord la beauté esthétique de certaines images : chars israéliens fonçant dans le désert du Sinaï au milieu d’un nuage de poussière ; gestes quasi chorégraphiques des lanceurs de pierre ou de cocktails Molotov qui, comme David contre Goliath, sont pour Caron les icônes emblématiques des manifs et de la guérilla. Il est sensible à l’environnement qui entoure les personnages : forêt vietnamienne déchiquetée par les obus, gravats dans les rues de Londonderry après une manifestation. Mais surtout, il est proche des hommes, et particulièrement des victimes : soldat noir lisant une lettre pendant un moment de répit dans le combat, prisonniers égyptiens au regard vague, villageois africain transportant sur son vélo le corps d’un proche dans son cercueil, enfants faméliques à cause de la famine organisée au Biafra, celle-là même qui a amené la création de Médecins sans frontières par Bernard Kouchner. Mais, au contraire du médecin, que peut faire le photographe, lui, sinon témoigner, sans pourtant tomber dans le voyeurisme ? Il a illustré ce conflit intérieur par une photo de son confrère Raymond Depardon filmant l’agonie d’un enfant biafrais décharné. Jusqu’où le photographe de presse a-t-il le droit d’aller sans enfreindre l’éthique ? Gilles Caron a vécu une véritable crise morale, qui justifie le titre de l’exposition. Saisi par le doute, marqué aussi par sa capture lors du conflit tchadien, il voulait quitter le photojournalisme, alors même que ses prises de vue occupaient des pages entières de Paris Match. Sa disparition sur une route du Cambodge, à l’âge de trente ans, ne lui en aura pas laissé le temps.


« Gilles Caron, le conflit intérieur », Musée de l’Elysée, Lausanne, jusqu’au 12 mai.