Un manifeste féministe tout en finesse

CINÉMA • Le film « Wadjda » de la réalisatrice saoudienne Haifaa Al Mansour suscite l'enthousiasme de la critique et des spectateurs.

Le film « Wadjda » de la réalisatrice saoudienne Haifaa Al Mansour suscite l’enthousiasme de la critique et des spectateurs.

Comment expliquer l’étonnant
succès de ce film à petit budget ?
Sans doute parce qu’il suscite
d’abord la curiosité. Quoi ? un film
saoudien, le premier long-métrage
tourné dans cet impénétrable
royaume, et de surcroît réalisé par une
femme ?! Il présente donc d’abord un
intérêt « ethnographique ». Les apparences
sont trompeuses : une banlieue
de Riyad aux larges avenues ; des écoles
et hôpitaux bien tenus ; une vie matérielle
relativement confortable (à l’exception
du sous-prolétariat d’origine
pakistanaise qui accomplit les basses
besognes), une vie quotidienne qui, à
l’intérieur de la maison, ne diffère
guère de la nôtre, avec la présence du
téléphone portable, de la TV, de jeux
vidéos ; les vêtements aguicheurs de
l’épouse ; les jeans et la musique pop de
la petite Wadjda, douze ans (remarquablement
interprétée par la jeune
Waad Mohammed), dont le rêve est de
posséder une bicyclette… mais cet
engin est mal vu, il est censé mettre en
péril la virginité des filles. Car tout
change à l’extérieur du foyer, dans les
rues et les espaces publics : interdiction
pour les femmes, voilées de la tête au
pied et réduites à l’état de corneilles
ambulantes, de conduire un véhicule,
de parler à haute voix devant les
hommes, de partager un repas avec
eux, etc. Le film se fait le témoin
engagé de cette humiliation et de cette
oppression quotidiennes de la femme,
illustrées par la scène emblématique où
la mère de Wadjda, ne pouvant donner
un fils à son mari qu’elle aime – les
mâles seuls sont répertoriés sur les
arbres généalogiques des familles –
doit accepter dans les larmes la présence
d’une seconde épouse. La grande
qualité de ce film à la trame simple,
bien construit, souvent drôle, parfois
émouvant, est de n’être jamais une
oeuvre « à thèse », ni un plaidoyer explicite.
Il distille un féminisme subtil. La
réalisatrice Haifaa Al Mansour se
contente de montrer, certes avec une
ironie sous-jacente que le spectateur
décrypte aisément : ainsi le choix de ces
sourates du Coran que les pré-adolescentes
doivent ânonner. Et le film de
s’achever sur une petite victoire : Wadjda
obtient son vélo et l’étrenne en
pleine rue, après des péripéties que
nous laissons découvrir au spectateur.
Peut-être a-t-elle fait progresser un
tout petit peu la condition féminine
dans ce pays fondamentaliste et ultraconservateur.
Tel est en tout cas le message
d’espoir que Haifaa Al Mansour
réussit à faire passer, tout en finesse.