En attendant le temps des oranges

Théâtre • La pièce d'Aziz Chouaki montée à Vidy met en scène l'Algérie, mêlant histoire depuis la colonisation du pays et souvenirs radieux de l'auteur.

La pièce d’Aziz Chouaki montée à Vidy met en scène l’Algérie, mêlant histoire depuis la colonisation du pays et souvenirs radieux de l’auteur.

La saison des oranges reviendra, il y croit cet homme qui, sur son balcon, se dore au soleil, voit Alger et la mer « comme un ruban blanc cerné de bleu en bas » et entend la rue bruisser de vie, une vie quotidienne dont il conte l’histoire avec beaucoup d’humanité, d’humour parfois un brin cynique : les gosses qui jouent au foot, les gens qui se rencontrent, les filles si belles qui passent… et les bagarres pour rien – où met-on les deux p d’hippopotame ! Il lance des mots, qui « roulent comme un œuf » dans un français mâtiné d’algérien, avec des ruptures, des envolées lyriques, des invectives pleines de rage et de fureur, des mots terribles alors, durs et cruels, qui vont dire l’autre histoire, celle avec un grand H, de l’Algérie. Cela commence avec la colonisation française en 1830 et va jusqu’à cette année 1997 quand Aziz Chouaki écrit Les Oranges, parce qu’il veut que « dans un pays où le sang a une fâcheuse tendance à remplacer le verbe, où sourire devient un acte de courage », son peuple se rappelle et rétablisse la vérité avec lucidité et amour.

Le narrateur, Azeddine Benamara, remarquable de vitalité et d’authenticité, entre cocasserie et gravité, amertume et révolte, porte autour du cou la petite bombe, tirée par un soldat français lors de la prise d’Alger, qu’il a extraite d’une orange et qu’il enterrera, c’est son serment, « le jour où tous les gens de cette terre d’Algérie s’aimeront comme s’aiment les oranges ». Et il attend le temps des oranges ! Il dénonce les crimes, les violences, celles des conquérants, celles des résistants, les humiliations, les extrémismes, les fanatismes, les duplicités dont la sienne : « J’ai réussi à passer entre les mailles de tous les filets, grâce à mes nombreux masques… » Il accuse les responsables politiques coupables, légitimes ou non, l’Histoire officielle qui n’est qu’un tissu de mensonges ou d’omissions, rit des théories que l’Occident croit pouvoir imposer à l’Orient. Mais il évoque aussi des noms qui sauvent l’espoir, entre autres celui de Camus, lui qui découpait la pastèque, non en quartier mais en tranches rondes, et ainsi « chacun a un peu du cœur ».

A part une malle en osier dont on sortira une malle plus petite qui contient juste une feuille de papier, la scène est nue, ce qui donne plus de force aux mots ; ces mots disent avec un tragique douloureux ou une faconde souriante le désespoir et l’espérance, combinent passé et présent, évoquent les petits bonheurs journaliers, la nostalgie, la tendresse. Il y a le narrateur, irrésistible, admirablement engagé, et il y a Mounya Boudiaf qui lance quelques répliques et surtout chante, comme pour laisser du temps au temps. Celui où l’on s’aimera sur la terre d’Algérie « comme s’aiment les oranges ».


Les Oranges au Théâtre Vidy- Lausanne, sous chapiteau, jusqu’au 5 mai. Infos et rés. sur www.vidy.ch et au 021 619 45 45.