En cheminant vers l’estuaire de la Vie

poésie • Julien Dunilac dit le voyage de l'Homme le temps de son existence.

Julien Dunilac dit le voyage de l’Homme le temps de son existence.

Au travers des mots de la poésie, l’auteur chemine le long d’un fleuve dont il entrevoit l’estuaire : quand le cours d’eau parviendra-t-il jusqu’à son embouchure, là où des marées inconnues en déferont le rythme, les couleurs et la musique, à l’instar de l’ultime d’une vie ? Ses questionnements sur le commencement, la fin, le sens de l’existence, demeurent néanmoins sereins dans leur ensemble, même si quelques remuements émergent ici et là de la surface lisse des eaux : pas le temps de rassembler ses esprits / d’imaginer une parade / à ce saut dans le vide. Aussi convient-il d’opter pour le carpe diem, laissons-nous chaque matin / surprendre en joie / Soleil !

Outre cet émerveillement suscité par la clarté du jour, d’un jour en supplément, on retrouve dans ce dernier recueil la fascination de l’auteur pour la neige – près d’une vingtaine d’occurrences ! – sa chute si légère – et qui pénètre jusque dans la mémoire du poète : ressurgissement alors des tableaux de l’enfance, de ses Noël au passé, sans pour autant que la nostalgie s’en mêle : « il y a une finitude qui est inhérente à l’expérience humaine », disait Jean Starobinski lors de l’une de ses interviews à propos de L’Encre de la mélancolie, sa récente publication. Mais cette mélancolie-là n’est pas présente dans la dernière œuvre de Julien Dunilac. La conscience, simplement, de l’impermanence du monde. Et de celle des mots de l’écrivain : ses poèmes le suivent / nuée de papillons / éphémères tout autant.

Néanmoins, bien qu’ils ne résonnent pas forcément, les mots assument un certain rôle dans notre monde en perpétuel mouvement : ils se laissent écrire / comme des chats caressés / On peut leur faire dire / n’importe quoi et leur contraire. Pourtant, l’un d’eux fait figure d’intouchable dans ce bal des phrases, des mutations, et c’est AMOUR, ce mot tout rond flirtant avec les courbes de l’aimée.

Au terme de ce parcours au travers de paysages tantôt bousculés, tantôt apaisés, un train glisse entre / deux remblais / destination inconnue. Mais le voyage initiatique se poursuit par le biais de quelques haïkus qui le closent. La neige, à nouveau, réapparaît. Elle fond et l’arbre, figure du poète, gît sur le flanc / Le vide est troublant.

Musicale, l’écriture qui dit ce voyage de l’Homme, le temps d’une existence. Les allitérations, fréquentes, restituent le mouvement des pas vers l’indicible silence. Et foisonnent les métaphores, les rythmes et tout ce qui apparente ce recueil à une véritable partition. La lire, y entrer, c’est peut-être mieux se comprendre. Comprendre aussi que le lac ne réfléchit que lui-même. Qu’il importe donc d’aller au-delà si l’on espère que l’estuaire se révèle enfin de lumière.


Julien Dunilac, L’Estuaire du fleuve, éd. Slatkine 2012, 110 pages, 20 frs.