Deux rééditions bienvenues

LIVRES • « La Pacification » gagne une remarquable préface de Nils Andersson et « La petite monnaie des jours » deux textes contre la peine de mort.

« La Pacification » gagne une remarquable préface de Nils Andersson et
« La petite monnaie des jours » deux textes contre la peine de mort.

Pour toute une génération, celle
des actuels septuagénaires et
sexagénaires à laquelle j’appartiens,
la guerre d’Algérie a marqué
l’éveil à la conscience politique. Dans ce
processus, des livres bouleversants
comme La Question d’Henri Alleg
(1958) et La Pacification (1960) ont
joué un rôle majeur. Le second, soustitré
Livre noir de six années de guerre
en Algérie
, était consacré aux atrocités
commises par l’armée française, rapportées
par de très nombreux témoignages
dûment contrôlés : torture systématique,
exercée notamment par les
unités parachutistes ; « disparitions » ;
progression de cette « gangrène » au
coeur même de la France métropolitaine,
dans les commissariats de police
de Paris ou de Lyon ; crimes de guerre
envers les prisonniers et les populations
civiles ; exécutions sommaires, massacres
collectifs, viols ; usage de l’aviation
contre les douars algériens ou la
ville tunisienne de Sakiet-Sidi-Youssef,
le 9 février 1958, etc. Cette lecture provoquait
un véritable écoeurement. Le
livre dénonçait aussi le rôle en Algérie
d’un député et lieutenant para, un certain
Jean-Marie Le Pen…

Or, dans l’impossibilité de les
publier en France, où ils étaient immédiatement
saisis et interdits, plusieurs
de ces ouvrages furent édités en Suisse
par La Cité de Nils Andersson. Ce
militant d’extrême gauche d’origine
suédoise, qui adhérera plus tard au
maoïsme, sera expulsé de notre pays en
1967. Dans sa préface, « L’histoire d’un
livre », il apporte un très utile éclairage
sur des faits qui n’étaient connus que
des militants et des historiens spécialisés
dans cette période. Plutôt que de
mettre en valeur son propre rôle, qui
fut pourtant éminent, Andersson a
préféré rendre hommage au courage
d’éditeurs français, comme Jérôme Lindon
des Editions de Minuit, d’historiens
comme Pierre Vidal-Naquet, d’officiers
comme le général Jacques Pâris
de Bollardière, de hauts fonctionnaires
comme Paul Teitgen, dans la dénonciation
de la torture et des crimes de
guerre. Ainsi que le montre l’excellente
thèse tout récemment parue de
Damien Carron, La Suisse et la guerre
d’indépendance algérienne 1954-1962

(Antipodes, 2013), notre pays a joué un
rôle non négligeable dans ce conflit, et
dans sa résolution finale. Il était utile
que ces faits fussent rappelés.

Contre la peine de mort

L’écrivaine Janine Massard s’est fait
connaître notamment par ses livres au
contenu social, dans une ligne proche
de celle de Gaston Cherpillod. Terre
noire d’usine – Paysan-ouvrier au XXe
siècle
montre la misère qui régnait dans
le Nord vaudois. Elle-même, d’origine
modeste, raconte son enfance à Rolle,
sa ville natale, dans un récit autobiographique
qui est en même temps la
belle fresque d’une époque. Le livre
avait paru aux Editions d’en Bas en
1985. Ces dernières ont eu l’heureuse
initiative de le rééditer, enrichi d’un
texte de l’avocat Eugène Kaupert, « Exécution
de Jacob Lausselet à Rolle le 9
septembre 1846 », et paru la même
année. Janine Massard avait fait une
allusion à cet événement dans son
récit. Dans un style empreint du
pathos de l’époque, Kaupert raconte la
décapitation à l’épée d’un pauvre hère,
l’une des dernières dans le canton de
Vaud. La deuxième partie de la brochure,
« Quelques réflexions sur la
peine de mort », constitue une synthèse
des arguments contre cette survivance
de la barbarie des temps anciens. On
n’est pas loin des discours et textes
remarquables de Victor Hugo sur le
même objet, et de son poignant récit,
Le Dernier Jour d’un condamné, paru
en 1829.

Ces deux rééditions concernent
donc des horreurs restées hélas
d’actualité.


Hafid Keramane, La Pacification. Livre noir de
six années de guerre en Algérie
, préface de Nils
Andersson, éd. Les petits matins, 16 euros ;
Janine Massard, La petite monnaie des jours,
éd. d’en Bas, 15 frs.


(photo Arthur Smet)