Luxe et mondanités dans des paquebots de rêve

EXPOSITION • Le Palais Lumière à Evian présente l'histoire des géants des mers et la vie à bord d'une élite sociale de privilégiés.

Le Palais Lumière à Evian présente l’histoire des géants des mers et la vie à bord d’une élite sociale de privilégiés.

La fin de l’été permet de belles
mini-croisières sur le Léman.
On peut conjuguer ces plaisirs
du lac avec la visite d’une fort intéressante
et suggestive exposition à
Evian. Sise dans le beau bâtiment Art
Nouveau du Palais Lumière (un
ancien centre thermal), celle-ci s’intéresse
à l’ère des grands paquebots.
Une ère révolue depuis que le trafic
maritime régulier a été supplanté, dès
les années 1960, par la navigation
aérienne. Il n’y a en effet pas grandchose
de commun entre ces géants
des mers aux formes élégantes, dévolus
aux voyages de luxe, et les véritables
villes flottantes du type Costa,
construites pour des croisières de
masse à l’attention d’une clientèle
plus populaire. A travers 350 objets
et documents, l’exposition distille
donc une atmosphère de nostalgie.

Des affiches exotiques
pour voyager avant d’embarquer

Une première section montre une
série de maquettes qui illustrent
l’évolution technique des paquebots
depuis l’avènement de la vapeur au
milieu du XIXe siècle : abandon progressif
des voiles et des mâts, passage
des roues à aubes (peu efficaces par
roulis) à l’hélice, dimensions, puissance
et vitesse croissantes. « Je ne
puis voir la mer sans rêver de voyager
», écrivait Emile Verhaeren. Des
bruitages – sirènes, cris de goélands…
– communiquent ce rêve au
visiteur. Comme le faisaient les
affiches, dont le Palais Lumière présente
une superbe collection. Cellesci
constituaient le principal outil
publicitaire des grandes compagnies
maritimes. Certaines sont de véritables
oeuvres d’art. Elles insistent sur
deux points. La vitesse du navire y est
symbolisée par les cheminées crachant
leur fumée et surtout l’étrave
fendant les flots, comme sur la
remarquable affiche moderniste
montrant, en contre-plongée, la
proue effilée du Normandie, ce joyau
de la marine civile française qui, tristement,
finit en flammes dans le port
de New York en 1942. Mais l’accent
est mis aussi sur l’exotisme. Il faut
que le voyageur se croie déjà en
Afrique du Nord ou en Extrême-
Orient avant même d’embarquer :
palmiers, dromadaires, jonques,
femmes arabes voilées, Japonaises en
kimono, troublantes Vietnamiennes
suggèrent ces contrées lointaines.

Passagers de 3e classe relégués

Le voyage durait plusieurs jours. Il
fallait éviter l’ennui. D’où une vie à
bord d’un luxe extraordinaire, qui est
présentée dans la section à nos yeux
la plus fascinante de l’exposition. On
y verra par exemple les superbes
vaisselles des 1ère et 2e classes du
Normandie, dans le style Art Déco
1930 tout de sobriété élégante. Ou
encore les pharamineux menus qui
proposent plus de 80 plats où figurent
en bonne place caviar, langouste
en Bellevue, turbot sauce Riche ou
faisan truffé, sans oublier les menus
pour chiens… Il y a aussi les activités
récréatives (jeu de palet, deck-tennis,
piscines, apéritifs et danse en smoking,
etc.) Les enfants des voyageurs
fortunés ne sont pas en reste et bénéficient
d’une salle de jeux, d’un
théâtre guignol et même d’un carrousel.
De passionnants extraits de
films, commentés avec ce ton
emphatique si prisé des actualités de
l’époque, donnent une image très
vivante de cette vie à bord… réservée
à une minorité de privilégiés.
Car les paquebots transportaient
aussi les émigrants d’Europe centrale
rêvant d’Amérique ou les petits fonctionnaires
en route vers les colonies
françaises. Et c’est notre seule réserve
face à cette exposition : elle occulte
pudiquement les conditions de vie à
bord des 3e classe relégués dans les
entreponts, dans des conditions de
logement et d’hygiène souvent aléatoires.
Cette différence entre les
ponts du navire, qui reproduisaient
la pyramide sociale, est d’ailleurs très
bien montrée dans le film Titanic.
Mais on peut toujours rêver. Comme
le suggèrent les dernières pages de
L’Amant de Marguerite Duras, où l’on
voit les paquebots sortir de la rivière
de Saïgon et disparaître dans le lointain…


« Légendes des mers. L’art de vivre à bord
des paquebots », Palais Lumière, Evian, jusqu’au
22 septembre.