L’étranger en haut de l’affiche politique suisse

LIVRE • Les Editions Alphil publient le catalogue de l'exposition « L'étranger à l'affiche » présentée à Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds.

Les Editions Alphil publient le catalogue de l’exposition « L’étranger à
l’affiche » présentée à Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds.

La présence des étrangers en
Suisse est l’objet d’un débat d’une
intensité croissante, surtout
depuis que se sont multipliées les initiatives
des extrêmes droites successives
pour limiter leur nombre. Cette
actualité du sujet justifiait l’organisation
en 2013, à Neuchâtel et La
Chaux-de-Fonds, d’une exposition de
52 affiches. Celle-ci a été vandalisée à
deux reprises, ce qui témoigne du
caractère passionnel du débat. C’est le
matériel de cette double exposition
que publient les dynamiques Editions
Alphil, dans un petit livre richement
illustré. Les 52 affiches, commentées
en trois langues, y sont précédées par
une introduction thématique intéressante,
hélas d’une lisibilité un peu
aléatoire, vu l’impression du texte sur
fond rouge.

Le débat est actuel, mais il n’est pas
nouveau ! Des affiches presque centenaires
(la première date de 1919) en
témoignent. Elles ont été produites
par divers milieux politiques et
sociaux, de l’extrême droite xénophobe
à la gauche marxiste. Certaines
d’entre elles, récentes, nous sont devenues
tristement familières : ainsi celle
qui représente une Suisse couverte de
minarets (2009), ou celle de l’UDC
montrant le fameux mouton noir
chassé de notre sol par les moutons
blancs. On (re)découvrira les autres
avec intérêt. Notons le caractère
récurrent de symboles exprimant la
nostalgie pour une « Suisse des sonnailles
» : armailli, Waldstaetten, etc.
L’image de l’autre répond également à
des stéréotypes : cheveux noirs bouclés
et port de la moustache, visage
basané, valise à la main pour caractériser
l’immigré ou le travailleur étranger.
C’est dans les années trente que la
caricature de l’étranger atteint son
paroxysme, avec la figure du Juif et
du communiste. Le texte supplée parfois,
mais c’est plutôt rare, complètement
à l’image : une affiche genevoise
de 1936 invite à boycotter les « maisons
juives » et à acheter « chez les
gens de notre race ! »

Sur le plan graphique ou esthétique,
les affiches produites par Vigilance
ou l’UDC se caractérisent par
un pseudo-réalisme de BD un peu
infantile et un style qu’a pu inspirer
dans le passé le fameux journal satirique
Der Nebelspalter. Il convient de
noter que les milieux de gauche
« récupèrent » parfois ce style, de
manière parodique, pour mieux
dénoncer les visées xénophobes de
leurs adversaires. Les affiches syndicales,
elles, recourent volontiers à la
photographie, dans une veine parfois
ouvriériste, notamment par la représentation
de travailleurs étrangers en
habit de chantier. Originale, l’affiche
de 2004 visant à faciliter la naturalisation
des étrangers, qui convoque et
unit deux symboles nationaux : une
platée de spaghettis dans un caquelon
à fondue, pour prôner la mixité culturelle.

Au-delà des messages politiques,
économiques ou sociaux qu’elles véhiculent,
ces affiches sont donc également
intéressantes du point de vue de
la rhétorique visuelle. Elles illustrent
les rapports entre graphistes et mouvements
politiques. A cet égard, le cas
de Noël Fontanet à Genève, concepteur
de centaines d’affiches pour l’extrême
droite frontiste, est exemplaire.
Comme le dit pertinemment le texte
de conclusion à l’ouvrage : « L’impact
d’une affiche, la force de son message,
n’est ainsi pas tant tributaire de la
cohérence de son contenu, que du
talent de mise en scène de son
concepteur. »

Voilà un livre qui devrait au moins
figurer dans toutes les bibliothèques
syndicales et celles des partis et associations
engagés dans la lutte contre la
xénophobie !


Francesco Garufo et Christelle Maire,
L’étranger à l’affiche. Altérité et identité dans
l’affiche politique (1918-2010)
, éd. Alphil
2013, 88 p., 29 fr. Site de l’expo :
www.letrangeralaffiche.ch