L’Art nouveau déroule ses volutes à Evian

EXPOSITION • La station thermale lémanique accueille les trésors du Musée départemental de l'Oise au Palais Lumière.

La station thermale lémanique accueille les trésors du Musée
départemental de l’Oise au Palais Lumière.

Nancy, Bruxelles, Vienne et
Munich sont des centres européens
célèbres de l’Art nouveau
(Jugendstil), ce mouvement des années
1890-1910 qui affirmait que « l’Art est
dans tout » et voulait introduire le Beau
dans l’architecture comme dans la
peinture, le mobilier, la céramique, ou
encore les simples objets de la vie quotidienne.
Qui sait en revanche que
Beauvais – plus connue pour sa cathédrale
gothique trop élevée qui finit par
s’effondrer – en fut aussi un centre
régional important ? Son Musée départemental
de l’Oise passe pour l’un des
plus originaux de France. Momentanément
fermé pour une profonde
rénovation architecturale et muséographique,
il a prêté une partie de ses
riches collections au Palais Lumière
d’Evian. Quel plus bel écrin pour
montrer 120 objets liés à l’Art nouveau
que ce bâtiment, ancien établissement
thermal classé monument historique,
avec la splendide coupole et les vitraux
de son hall d’entrée ?

L’originalité de l’exposition tient
notamment à la présentation de nombreux
tableaux : on les associe moins
spontanément à l’Art nouveau que
d’autres supports artistiques. Cette
peinture hésite entre le chromatisme
intense des Nabis et un symbolisme
qui fait parfois penser à Puvis de Chavannes.
On remarquera un splendide
paysage de Vuillard, plus connu pour
ses scènes d’intérieur intimistes. Les
grands panneaux peints réalisés par
Maurice Denis pour l’hôtel particulier
du prince de Wagram – La Source, La
Treille
et Les Colombes – s’intitulent
L’Age d’or… Un âge d’or qui prendra
brutalement fin avec le déclenchement
de la Première Guerre mondiale et ses
hécatombes. La céramique de Beauvais
(porcelaines et surtout grès) est
particulièrement bien illustrée à Evian.
C’est que la riche terre glaise du Beauvaisis
est propice aux créations dans
cet art. S’ajoute à cela une composante
économique et sociale : moins coûteuse
que la peinture à l’huile ou la
sculpture, la céramique était financièrement
accessible à un public plus
large. Un court-métrage des années
1930 montre au travail Auguste Delaherche,
l’un des plus fameux potiers de
son temps. Les vases jouent avec les
motifs floraux, les courbes, les arabesques ;
ils sont parfois translucides,
comme dans cette pièce d’Emile Gallé
qui est l’un des fleurons de l’exposition.
Le « coulage » volontaire de la couleur,
qui confère artificiellement l’apparence
du « naturel », s’inspire manifestement
de la céramique japonaise. Les techniques
chinoises et nippones ainsi que
le goût japonisant sont très perceptibles
aussi dans une belle composition
de carrés de céramique représentant
coqs et faisan devant des branches
d’arbres en fleurs. Le visiteur déambule
ainsi d’objet en objet, accompagné
en fond musical par Fauré et Debussy,
le compositeur de Prélude pour l’Après-midi
d’un Faune
, qui a inspiré la peinture
éponyme de Ker-Xavier Roussel.
Une fois de plus, dans l’Art nouveau,
tous les arts s’accordent, s’unissent et
finissent par se confondre.

La reconstitution de deux salles
à manger

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Salle à manger conçue par Gustave Serrurier-Bovy (1858-1910). (photo Jean-Louis Bouché / Musée départemental de l’Oise)

Mais le clou incontestable de l’exposition,
c’est la reconstitution de deux
salles à manger avec leur mobilier et
leur décor : elles permettent de mieux
saisir cette unicité qui fait la particularité
et l’intérêt de l’Art nouveau. Celle
du créateur belge Gustave Serrurier-
Bovy présente ses chaises et table à la
fois élégantes et fonctionnelles, ainsi
qu’un buffet monumental aux courbes
puissantes, si chères à un mouvement
artistique qui fuyait la ligne droite.
Plus spectaculaire encore, la salle à
manger réalisée entre 1909 et 1911 par
le Français Henry Bellery-Desfontaines,
avec son décor peint par Henri
Martin. Ce dernier illustre, en trois
panneaux d’une belle luminosité qui
éclaire toute la pièce, des paysages et
une vie méditerranéenne idéalisés. Le
visiteur est subjugué par cet extraordinaire
accord entre la peinture, un élément
de vitrail, les meubles avec leur
décoration en forme de chardons, de
fleurs de pissenlits, de pommes de pin,
de salamandres. Ce qui illustre un
autre caractère essentiel de l’Art nouveau :
la volonté de l’homme d’être en
accord, en osmose avec la Nature. Un
idéal qui, au fond, rejoint celui des
taoïstes chinois…

Au travers de cette belle exposition,
qui succède à d’autres dont Gauchebdo
a rendu compte (sur Eluard, sur la vie
dans les paquebots), Evian-les-Bains
s’affirme non plus seulement comme
un centre thermal, mais aussi comme
un pôle culturel incontournable du
bassin lémanique.


« L’Idéal Art nouveau », Palais Lumière, Evian,
jusqu’au 12 janvier.