Quand papistes et réformés se battaient à coups d’images

EXPOSITION • A côté de ses riches collections, le Musée international de la Réforme à Genève présente l'affrontement iconographique entre catholiques et protestants.

A côté de ses riches collections, le Musée international de la Réforme à
Genève présente l’affrontement iconographique entre catholiques et protestants.

Aux 16e et 17e siècles, et
même plus tard en Suisse (les
guerres de Villmergen et du
Sonderbund), catholiques et protestants
se sont affrontés dans toute
l’Europe : sanglantes guerres de religion,
exactions, massacres,
bûchers… Ils se sont aussi combattus
par la plume et par l’image.

C’est à ce dernier aspect des
luttes interconfessionnelles que le
Musée international de la Réforme
(MiR) consacre une exposition originale.
Et sans parti pris. Les
tableaux et gravures présentés sont
évocateurs ! Entre autres amabilités,
on trouve, du côté protestant, un
monstre qui semble accoucher d’un
pape, ou une prostituée de Babylone
portant la tiare pontificale et
chevauchant la Bête de l’Apocalypse.
Les supports de ces images
de combat sont généralement des
eaux-fortes, mais peuvent aussi être
des huiles, voire un plat émaillé de
Limoges. Les attaques des luthériens,
calvinistes et huguenots sont
surtout dirigées contre les institutions
de l’Eglise romaine et ses turpitudes
(la vente des indulgences
qui joua le rôle que l’on sait dans la
Réforme luthérienne). Remarquons
un document très original : une
carte religieuse de la Suisse datant
de 1585 environ, avec un ours de
Berne entouré de chiens et de serpents
catholiques… La querelle
religieuse touche aussi l’Angleterre,
lorsque Marie Tudor (1516-1558)
s’efforce de recatholiciser son
royaume.

Du côté catholique, vitupérant
contre les « hérétiques », on s’en
prend à la fureur des iconoclastes et
des pilleurs d’églises, mais surtout à
la personne même de Luther, représenté
comme un sac à bière obèse.
Car cette époque de la Réforme
marque aussi les débuts de la caricature,
qui sera brillamment illustrée
plus tard par Daumier. Parmi
les pièces particulièrement intéressantes
et rares, deux tableaux montrent
Luther et Calvin en Enfer ; par
leurs animaux fabuleux et monstrueux,
ils font songer à ceux de
Hieronymus Bosch. De part et
d’autre, on s’efforce d’« animaliser »
l’adversaire, en le représentant
comme un animal ou une créature
monstrueuse, un « non-homme ».
Une tendance qui aura hélas un
grand avenir dès le 19e siècle avec
la montée de l’antisémitisme, du
journal d’Edouard Drumont La
France Juive
aux torchons de papier
nazis comme Der Stürmer. Les
images exposées au MiR contiennent
toute une symbolique, dont
certes le visiteur du 21e siècle ne
maîtrise pas tous les codes : les
pièces présentées lui sont donc
dûment expliquées. Sur le plan
strictement esthétique, qui n’est pas
totalement absent de l’exposition,
on peut admirer un tableau hollandais,
avec le réalisme des personnages
caractéristique de cette école,
mettant en scène le Christ en Bon
Berger.

Il fallait clore l’exposition de
manière apaisée. Avec le 18e siècle
des Lumières apparaît l’esprit de
tolérance. Dans sa série de gravures
intitulée Cérémonies et coutumes
religieuses de tous les peuples
, Bernard
Picart (1673-1733) met sur le
même pied toutes les religions
« pacifiques » : le christianisme, le
judaïsme, l’Islam, mais aussi l’hindouisme,
le bouddhisme ou les
cultes aztèque et andin. A défaut de
s’aimer, les religions peuvent désormais
coexister sans se faire la
guerre.

Un musée original,
vivant et non dénué d’autodérision

Nos lectrices et lecteurs qui ne
connaissent pas le Musée international
de la Réforme profiteront de
cette exposition temporaire pour le
visiter. Il est sis au coeur de la
Vieille Ville, à la rue du Cloître,
dans le cadre magnifique de la Maison
Mallet datant du 18e siècle. Les
collections sont très riches et vont
du 16e siècle à nos jours. On verra,
entre autres, le célèbre portrait de
Luther par Cranach (1530), des
tableaux représentant Théodore de
Bèze ou Calvin, l’évocation des
« dragonnades » sous Louis XIV, des
images de Genève à différentes
époques. Sont également évoqués,
sans prétendre être exhaustif : l’apport
artisanal et économique du
Refuge huguenot en Suisse ; le mouvement
piétiste du Réveil qui
donna naissance, avec le Vaudois
Alexandre Vinet, à l’Eglise libre ; les
grandes figures de la théologie protestante
au 20e siècle, avec Albert
Schweitzer, Karl Barth ou le pasteur
Dietrich Bonhoeffer, pendu par les
nazis en 1945. Sans que les compromissions
de l’Eglise luthérienne
allemande avec l’hitlérisme soient
occultées. Les femmes ne sont pas
oubliées, avec par exemple la belle
figure de Catherine Booth (1829-
1890), épouse du fondateur de l’Armée
du Salut et militante très active
de cette oeuvre. Ni les missions
dans les anciennes colonies : les plus
âgés d’entre nous y retrouveront la
statuette du « petit nègre » qui
hochait la tête et disait merci quand
on versait son obole, image familière
à l’époque de nos Ecoles du
dimanche… Enfin des vidéos illustrent
les différentes formes du culte
protestant, d’une certaine austérité
européenne à l’exubérance fervente
propre aux Eglises africaines.

Il faut remarquer surtout que ce
musée ne constitue pas une exaltation
du protestantisme. L’esprit critique,
l’humour et l’autodérision,
notamment sous forme de caricatures,
n’en sont point absents. C’est
donc à juste titre que le MiR a reçu
en 2007 le Prix du Musée du
Conseil de l’Europe.


« Enfer ou paradis : aux sources de la caricature
(16e-18e siècles) », Musée international
de la Réforme, Genève, jusqu’au
16 février.


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Ce tableau d’Egbert II van Heemskerck peint entre 1700 et 1710 met en scène Luther qui, tel un monarque accueilli par ses sujets, entre triomphalement en enfer,
accompagné par un cortège démoniaque. (photo Musée International de la Réforme)