« Genève est le champion suisse de la prison »

GENÈVE • Depuis le week-end dernier, Champ-Dollon connaît une série de violentes bagarres et d'actes de rébellion. Candidat de la gauche pour remplacer Olivier Jornot au poste de Procureur général, Pierre Bayenet a saisi l'occasion de réagir sur la situation difficile dans laquelle se trouve la prison genevoise. Rappelant dans un communiqué que 850 détenus s'entassent dans un établissement de 376 places et qu'« une société se juge à l'état de ses prisons », l'avocat propose trois solutions d'urgence susceptibles de faire baisser les violences immédiatement : suspendre l'exécution des peines inférieures à trois mois, acquérir 200 bracelets électroniques et libérer les sanspapiers qui n'ont pas commis de délit. Pierre Bayenet évoque aussi la possibilité de développer des peines alternatives. Interview.

Depuis le week-end dernier, Champ-Dollon
connaît une série de violentes bagarres et
d’actes de rébellion. Candidat de la gauche
pour remplacer Olivier Jornot au poste de Procureur
général, Pierre Bayenet a saisi l’occasion de
réagir sur la situation difficile dans laquelle se
trouve la prison genevoise. Rappelant dans un
communiqué que 850 détenus s’entassent dans un
établissement de 376 places et qu’« une société se
juge à l’état de ses prisons », l’avocat propose trois
solutions d’urgence susceptibles de faire baisser
les violences immédiatement : suspendre l’exécution
des peines inférieures à trois mois, acquérir
200 bracelets électroniques et libérer les sanspapiers
qui n’ont pas commis de délit. Pierre
Bayenet évoque aussi la possibilité de développer
des peines alternatives. Interview.

Comme solutions d’urgence à la situation à Champ-Dollon,
vous proposez ni plus ni moins que de suspendre l’exécution
des peines d’environ 280 prisonniers, de les libérer, et d’en
renvoyer 200 autres à domicile munis d’un bracelet
électronique. Est-ce bien raisonnable ? Ne craignez-vous pas
une augmentation de la délinquance ?

PIERRE BAYENET Je propose la libération d’une catégorie
bien spécifique de prisonniers : ceux qui sont à
Champ-Dollon en exécution de peine, et qui ne
sont pas dangereux pour la société. Ils sont en général
à Champ-Dollon soit pour des amendes d’ordres
non payées, soit pour violation de la Loi fédérale
sur les étrangers, soit pour d’autres infractions
mineures. S’il y a un risque d’augmentation de la
délinquance, ce sera uniquement pour ce type de
cas, qui ne mettent pas en danger la population.
Ce genre de délinquants n’a de toute façon pas
vraiment sa place en prison. Le clandestin n’a pas à
se retrouver à Champ-Dollon s’il n’a pas commis
d’autre infraction que d’être à Genève sans permis.
Les amendes non payées devraient être converties
en jours de travail d’intérêt général plutôt qu’en
jours de prison. Pour les autres infractions
mineures, la détention à domicile s’impose. Ces
condamnés doivent être punis puisqu’ils ont violé la
loi, mais la punition peut être exécutée plus tard
sans que l’on ne doive craindre une augmentation
de la délinquance.
Pour donner une réponse complète, il faut également
rappeler que la prison n’est pas un trou noir
astronomique : tous ces détenus condamnés à de
courtes peines sortiront un jour. Le risque de récidive
existera donc toujours, qu’ils sortent aujourd’hui
ou dans trois mois. Le maintien en détention
ne fait pas diminuer ce risque. La recherche en criminologie
a en effet démontré que la prison n’est
pas un moyen efficace de lutte contre la récidive.

Vous évoquez également la nécessité de développer à terme
des peines alternatives à l’enfermement. Lesquelles ?

Les peines alternatives prévues par le Code pénal
suisse sont l’amende, le travail d’intérêt général et la
peine pécuniaire. Le Code pénal prévoit également
que les peines privatives de liberté peuvent être exécutées
en semi-liberté. La possibilité d’exécuter ces
peines à domicile est aussi prévue.
Malheureusement, à Genève, 25% des sanctions
prononcées sont des peines privatives de liberté,
fermes ou avec sursis, alors que la moyenne Suisse
est de 10%. Genève est le champion suisse de la prison.
Les alternatives existent déjà, mais elles doivent
être plus utilisées. Cela implique un développement
de l’offre en lieu d’accueil permettant l’exécution
de ces peines.

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« En bourrant les prisons,
Olivier Jornot favorise la récidive », dénonce Pierre Bayenet. (photo Christian Lutz)

Avec le projet humaniste que vous défendez, à contrecourant
de la politique menée actuellement, pensez-vous
arriver à convaincre une majorité de Genevois de plébisciter
votre candidature au poste de Procureur général ?

Je suis convaincu que les Genevois sont sensibles à
la nécessité d’assurer leur sécurité à long terme. La
politique d’Olivier Jornot est une politique en culde-
sac, qui ne pourra être efficace qu’avec une augmentation
constante du nombre de détenus. L’objectif
d’une politique pénale ne doit pas être de
mettre les délinquants dans une « poubelle », mais
de leur infliger une sanction juste, qui n’entrave pas
leur retour à la vie civile et ne favorise pas la récidive.
En bourrant les prisons, M. Jornot favorise la
récidive puisqu’il ne permet pas d’assurer un suivi
social individuel aux détenus. Il coupe les détenus
de leur milieu social et familial, ce qui est également
un facteur aggravant le risque de récidive. Ma
politique vise tant le court que le long terme et j’espère
que les Genevois comprendront la nécessité de
ce changement d’approche face à la criminalité.