Sur les chemins de la lutte pour les droits LGBT

documentaire • Du Népal au Cameroun, de Cuba à la Russie, le film « Global Gay », présenté en première mondiale à Genève, nous emmène dans le quotidien des militants qui dédient leur vie à la défense des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT).

Du Népal au Cameroun, de Cuba à la Russie, le film « Global Gay », présenté en première mondiale à Genève, nous emmène dans le quotidien des militants qui dédient leur vie à la défense des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT).

Projeté en première mondiale à Genève au Festival et forum international du film sur les droits humains (FIFDH), le documentaire Global Gay propose un voyage édifiant au cœur de la lutte mondiale en faveur des droits LGBT. Il emmène le spectateur dans la bataille contre l’homophobie menée aux quatre coins du monde par les activistes de la cause homosexuelle. Les habitués de l’arène médiatique internationale, nos « grands décideurs » si souvent embourbés dans les inextricables problèmes du monde semblent, pour une fois, avoir entendu les appels de la société civile éclairée. Pour certains d’entre eux en tous cas. Et il faut l’admettre non des moindres si l’on s’en tient au simple prestige lié à la noblesse de leur fonction. L’enquête de Global Gay démarre en effet avec les déclarations du Secrétaire général de l’ONU, Ban-Ki Moon, occupé à souligner devant un parterre de hauts dignitaires onusiens l’importance de la Résolution 1719. Sans valeur juridique contraignante, cet instrument, adopté de haute lutte en 2011, doit toutefois poser les jalons d’une dépénalisation universelle et effective du « crime d’homosexualité ». Global Gay fait ensuite entendre la promesse, à valeur d’exemple, du président américain Barack Obama. Son second discours d’investiture est en effet placé sous le sceau d’un appel à respecter, affermir et consolider le droit des personnes LGBT. Enfin, le documentaire est ponctué par de brefs et percutants entretiens menés à Genève avec Navi Pillay, Haut-Commissaire aux droits de l’Homme. Par ses réponses concises et lapidaires, l’avocate indienne fait usage de toute l’autorité morale associée à sa personne pour éclairer les diverses facettes d’un enjeu aujourd’hui plus que jamais fondamental pour l’humanité.

Comme l’explique d’emblée Rémi Lainé, co-réalisateur du film, « il ne s’agissait pas dans l’aventure de Global Gay de documenter l’homophobie dite de la rue », celle qui ronge encore par exemple souvent les relations sociales ou amicales ; l’objectif n’était pas non plus de traquer le préjugé anti-gay tel qu’il s’insinue encore dans la sphère des relations familiales, au point de pourrir encore aujourd’hui la vie de millions d’homosexuels. Foin donc ici des approches sociologiques, ethnographiques ou psychologisantes. Le film documente simplement les succès obtenus ces dernières années aux quatre coins du monde dans le domaine de la législation anti-discriminatoire. Sur la base d’une libre interprétation de l’ouvrage éponyme récent de Frédéric Martel, issue d’une enquête fouillée dans 42 pays, Global Gay relève du témoignage engagé. Il se fait l’écho d’une mobilisation internationale toujours croissante au profit du mouvement LGBT. Les revers essuyés par ses partisans ne font que souligner l’urgence de la lutte. Les avocats des droits de l’homme honorés ici (la version longue du film inclut Maria Koslovskaya, Anastasia Smirnova, Polina Savchenko s’agissant de la Russie ainsi que Sunil Pant et Bhumika Shreta pour le Népal) sont en effet bien loin de s’apitoyer sur leur sort. Ils sont aux prises avec les avatars d’un préjugé qu’ils savent multiséculaire. 21 pays doivent être recensés sur l’infamante liste des Etats opposés à la Résolution 1719. Parmi les 76 pays où suinte encore une haine féroce pour les personnes manifestant une affinité particulière pour un partenaire du même sexe, 7 font de l’homosexualité un crime passible de peine de mort. Parmi les acteurs se disputant la palme de l’intolérance et de l’ignominie, on dénombre notamment le Qatar, l’Ouganda, l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Irak, la Mauritanie, la Somalie et le Cameroun.

Cependant, le tour d’horizon proposé par Global Gay fait la part belle aux nuances en choisissant de porter particulièrement l’attention sur cinq pays : le Cameroun, Cuba, l’Afrique du Sud, la Russie et le Népal.

L’intérêt spécifique pour la situation camerounaise n’est bien sûr pas étranger au prestige associé à la figure d’Alice Nkom et à son combat exemplaire pour la lutte en faveur des droits LGBT. « Nos intentions de tournage n’étaient certes pas connues des autorités. Une fois sur place, nous avons pu filmer sans trop d’obstacles. Cela dit, nous avons bien senti qu’un de nos entretiens était surveillé », témoigne Rémi Lainé. Ce fut le cas lors de l’entrevue avec le fameux journaliste  et avocat de la cause LGBT camerounais Eric Lembembe. Privé de soins médicaux suite à la suite d’une violente arrestation, il est retrouvé mort quelques mois après sa rencontre avec l’équipe de tournage.

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Comme le montre le film, à Cuba les partisans de la cause gay profitent de l’influence de la fille du président et figure de proue de l’activisme LGBT, Mariela Castro.

Un vent de liberté souffle sur Cuba

A Cuba, les homosexuels ont clairement profité de l’accession au pouvoir de Raul Castro. Un vent de liberté semble souffler aujourd’hui au sein des élites politiques et culturelles de La Havane. Il ne peut toutefois à lui seul faire oublier l’intensité des souffrances endurées par la communauté LGBT avant 1988. « Si l’on songe que la France a criminalisé l’homosexualité jusqu’en 1981 et que certains Etats occidentaux n’ont procédé à la dépénalisation que dans les années 1990, le bilan de Cuba n’est pas particulièrement négatif », nuance toutefois Rémi Lainé. Les partisans de la cause gay profitent aujourd’hui d’un renfort de poids en la personne de Mariela Castro, fille de l’actuel président cubain et figure de proue de l’activisme LGBT. Capturée par une caméra bienveillante dans l’insouciance d’une danse avec le vice-président en exercice, la nouvelle héroïne cubaine est prédite à un bel avenir. Et, à l’heure de faire le bilan de l’héritage cubain en matière de respect des droits individuels, elle n’hésite à vrai dire pas à critiquer les excès de la « paramétrisation ». Mais, l’époque où l’attaque contre la société bourgeoise rimait nécessairement avec l’exclusion des individus « déviants », inaptes au projet de « rédemption collective » imaginé par le régime castriste, est désormais révolue.

L’Afrique du Sud fait quant à elle figure de modèle à cette échelle globale. Le régime de Pretoria incorpore des garanties constitutionnelles inédites visant spécifiquement la protection des homosexuels (« clause de liberté ») dès 1994. L’archevêque Desmond Tutu et le juge de la Cour constitutionnelle Edwin Cameron contribuent de façon décisive à cette évolution. Autant que son parcours personnel, le témoignage du juge Cameron n’a de cesse d’émouvoir et de susciter l’admiration. Elevé dans la misère par un père électricien alcoolique, il se remémore dans la salle d’audience de la Cour constitutionnelle les velléités suicidaires de l’adolescent de 14 ans qu’il était découvrant en écoutant la radio la violence du stigma associé à la condition homosexuelle. Certes, pour accéder de plain-pied au Conseil de sécurité et au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, l’Afrique du Sud doit obtenir les voix de pays émergents particulièrement hostiles aux homosexuels. Elle renonce dès lors stratégiquement à assumer le rôle de leadership global que veulent lui faire endosser les Etats occidentaux en lui confiant l’organisation de conférences régionales sur l’homophobie. Malgré les nouvelles effrayantes de « viols correctifs » en provenance des townships, l’action pionnière d’un Edwin Cameron ne laisse pas de doute sur l’immense héritage de progrès légué aux autres Etats du monde par l’Afrique du Sud.

Cofinancé par France Télévisions et la Chaîne Parlementaire et produit par Java Films, le documentaire Global Gay a déjà suscité l’intérêt des chaînes brésilienne, norvégienne et israélienne. Pour Rémi Lainé, connu notamment pour sa participation à la belle série documentaire Justice en France, le film est plus que jamais « destiné à voyager ». Compte tenu de la qualité de la démarche, nul doute que Global Gay parviendra à convaincre aux quatre coins de la planète de l’importance de son propos.