Il faut savoir continuer une grève

GENÈVE • Après 8 mois de lutte, la grève des 14 employés de Gate Gourmet a pris fin par un accord signé entre l'entreprise, l'Etat et le secrétariat central du SSP. En refusant la poursuite du mouvement, le syndicat a court-circuité son secrétaire régional et sa section cantonale. Pour quels résultats ?

Après 8 mois de lutte, la grève des 14 employés de Gate Gourmet a pris fin par un accord signé entre
l’entreprise, l’Etat et le secrétariat central du SSP. En refusant la poursuite du mouvement, le syndicat a
court-circuité son secrétaire régional et sa section cantonale. Pour quels résultats ?

La fin de la grève à Gate Gourmet
laisse un goût amer à Béatrice.
Prénommons ainsi cette ex-gréviste
puisqu’une clause de sa convention
de fin de rapport de travail lui
interdit de parler à la presse. Béatrice a
eu « très peur » d’entrer en grève, « ça a
été dur, mais j’ai beaucoup appris et ça
m’a fortifiée ». Et si c’était à refaire ? « Je
pourrais recommencer une grève, mais
pas tout de suite. » Tout en saluant le
« travail formidable » de la section genevoise
du syndicat SSP, elle estime
qu’une des raisons de l’échec est due à
un manque de mobilisation des
employés. Sur plus d’une centaine, seuls
26 au début, puis 14 à la fin ont effet
pris part au mouvement. « Et malgré
nos actions publiques, nous n’avons
reçu que peu d’appui extérieur, alors
que c’est déjà important pour le moral
de pouvoir compter sur un tel soutien »,
explique-t-elle. Il a été ainsi impossible
de monter une grève de solidarité de la
part des employés des autres entreprises
de l’aéroport.

La solidarité a essayé de s’organiser
au travers du Comité de soutien aux
grévistes. Jean-Louis Carlo s’est engagé
dès le 14 septembre aux côtés des
employés en lutte de Gate Gourmet. Ce
militant communiste tient à souligner
le « courage des grévistes », « qui ont lutté
presque tous seuls durant huit mois ».
« Ils ont été lâchés par les élus de gauche
après les élections », lance ce membre
du comité directeur du SSP-Genève.
Comment juge-t-il l’accord de fin de
grève négocié par le secrétariat central
de son syndicat ? « Cela crée un dangereux
précédent : une entreprise peut
casser une CCT, baisser les salaires et la
résistance est brisée par… le syndicat
lui-même, qui valide le licenciement de
travailleurs en lutte !… tout en ayant
porté plainte devant l’Organisation
internationale du travail pour le renvoi
des grévistes de la Providence !… » La
grève n’ayant pas vraiment pris, ne fallait-
il pas pourtant trouver une porte de
sortie ? « On pouvait mettre un terme à
la grève dans la dignité, sans admettre
les licenciements ni les conditions de
travail revues à la baisse. » Concrètement,
les grévistes licenciés se seraient
retrouvés aux Prud’hommes.

Maudet s’engage à dégager les piquets de grève

Les instances nationales du SSP ont préféré
contourner un obstacle de taille : le
secrétaire syndical Yves Mugny soutenu
par une majorité du comité directeur de
la section genevoise du syndicat. « Il faut
savoir terminer une grève », avait dit
Maurice Thorez. On peut aussi parfois
la poursuivre. Car après tout qu’importait
au comité national du SSP que cette
grève, même minoritaire et dans l’impasse,
se poursuive ? Secrétaire central,
Stefan Giger s’est félicité d’avoir obtenu
de substantiels avantages : le réengagement
d’une gréviste, un mois de salaire
pour les autres, un certificat de travail
ne mentionnant pas de fait de grève et
un suivi pour la réinsertion sur le marché
du travail. Ce n’est pas si mal. Gate
Gourmet promet aussi de participer à
des négociations en vue d’adhérer à une
CCT de branche. C’est un peu mince.
Signataire de l’accord tripartite, le
conseiller d’Etat Pierre Maudet s’engage
de son côté « à prendre toute mesure
nécessaire pour éviter l’apparition d’une
nouvelle cabane ou de tout encombrant
similaire utilisé à des fins de piquet de
grève », lit-on dans le document. Voilà
une remise en cause du droit de grève.
Le jeu en valait-il vraiment la chandelle ?

« C’est catastrophique pour le personnel et les luttes syndicales »

« C’est catastrophique pour le personnel
et pour les luttes syndicales », juge
Yves Mugny. Délégué syndical chez
Swissport, entreprise qui avait
débrayé neuf jours en 2009, Didier
Blanc considère que la fin de la grève
de Gate Gourmet arrive au plus mauvais
moment. Actuellement, les partenaires
sociaux de plusieurs sociétés de
l’aéroport sont en discussion pour le
renouvellement des CCT. La signature
de cet accord tripartite a minima
pourrait donner des ailes aux patrons
pour revoir à la baisse les contrats.
« On a déjà constaté que pour se prémunir
des grèves les employeurs
cherchaient à atomiser les salariés en
engageant beaucoup de personnel en
intérim ou à temps partiel. Maintenant
que tous les salariés ont compris
qu’on pouvait licencier dorénavant
des grévistes, ce sera pire », regrette le
syndicaliste.

L’aéroport, laboratoire des politiques antisyndicales

Du côté des partis politiques, les
Communistes rappellent dans un
communiqué que « la décision de
Gate Gourmet de casser la CCT en
vigueur et l’envoi d’un congé-modification
à tous les employés, dégradant
ainsi leurs conditions de travail et de
retraite, était une sorte de ballon d’essai
pour les autres entreprises officiant
sur le site de l’aéroport. Ce dernier
étant un véritable laboratoire des
nouvelles politiques antisyndicales et
antisociales. Si le patronat arrive à ses
fins là-bas, avec le concours du PLR,
les autres travailleurs du canton ne
pourront pas échapper aux mêmes
attaques, c’est juste une question de
temps. » Le Parti du Travail considère
la convention tripartite comme « une
véritable capitulation, pire une grave
trahison ».

« On perd une figure de proue du syndicalisme de combat »

En plus des grévistes licenciés, le
mouvement aura fait une autre victime :
Yves Mugny. L’accord négocié
par le secrétariat central a sonné
comme un désaveu de la politique
menée par le secrétaire régional. Le
Genevois en a tiré les conséquences
en démissionnant. « Nous perdons la
figure de proue du syndicalisme de
combat », déplore Jean-Louis Carlo.
De l’aéroport aux HUG, en passant
par la Providence, Yves Mugny a
animé de nombreux mouvements
sociaux ces dernières années. Des
actions controversées puisque certains
grévistes ont perdu leur emploi.
Mais si son activité syndicale peut
être critiquée, il n’en reste pas moins
qu’Yves Mugny a eu le mérite de
pointer le véritable défi que représente
pour les travailleurs les
attaques actuelles sur le partenariat
social et de proposer la seule réponse
possible : la nécessaire lutte des salariés
et l’indispensable solidarité des
syndiqués.


(collaboration Joël Depommier)