Nidegger qualifie d’ « ânerie » le crime d’Anders Breivik

THÉÂTRE POLITIQUE • FESTIVAL DE LA BÂTIE • Lors d’un débat culturel, le conseiller national UDC a banalisé la tuerie d’Utøya en n’hésitant pas à reprendre des concepts du terroriste d’extrême droite Anders Breivik. Compte-rendu.

FESTIVAL DE LA BÂTIE • Lors d’un débat culturel, le conseiller national UDC a banalisé la tuerie d’Utøya en n’hésitant pas à reprendre des concepts du terroriste d’extrême droite Anders Breivik. Compte-rendu.

Le 7 septembre, la Maison communale de Plainpalais accueillait un débat faisant partie intégrante d’une lecture performative d’un discours d’Anders Behring Breivik ( Breivik’s Statement ) à son procès. Cette lecture distanciée est proposée sous la direction de l’artiste bernois Milo Rau, invité spécial du Festival de La Bâtie (notre dernière édition). Cet homme de théâtre et cinéaste développe une forme de théâtre du réel axée sur des sources, documents et témoignages.

Yves Nidegger était invité à participer au débat réunissant, outre Milo Rau, la comédienne germano-turque Sascha Ö. Soydan qui lit le texte de Breivik, ainsi que l’anthropologue et professeur à l’Université de Lausanne Mondher Kilani. Yves Nidegger était présent sur l’invitation du modérateur, l’historien Mathieu Menghini, professeur à la Haute Ecole Spécialisée de Suisse occidentale et ancien directeur du Théâtre Forum Meyrin, suivant en cela la demande de Milo Rau qui souhaitait la présence d’un membre de l’UDC. Un parti dont l’action est saluée par Anders Breivik dans son discours, notamment dans le cas de « l’initiative anti-minarets ».

Le conseiller national membre de l’UDC et avocat genevois a qualifié « d’ânerie » le massacre sur l’île d’Utøya de membres ciblés des Jeunesses travaillistes norvégiennes, longuement prémédité par Anders Breivik. Il a aussi rejoint certaines thèses développées par le terroriste identitaire sur le « marxisme culturel ». « Si les médias avaient une influence sur ceux qui votent, je ne serai pas élu et encore moins réélu. Vous avez une réalité de l’élite dont Breivik parle d’une manière assez banale et maladroite : les marxistes culturels qui tiennent les clefs de l’Université et des médias, ce qui n’est pas bien », a expliqué Yves Nidegger, avant de déclarer au public : « Dire que le mouvement de la démographie actuelle va plutôt vers la fin de la prédominance blanche en Europe, c’est probablement vrai. Dire que le marxisme culturel n’est pas ce que l’on ait fait de mieux en matière de maintien de la civilisation et qu’il est en position très hégémonique dans les médias, c’est banalement vrai aussi. Ce qu’il faut faire par rapport à ça, ce n’est pas une ânerie comme liquider 77 personnes dans un camp de vacances. »

Le 22 juillet 2011, entre 17h21 et 18h30, à quarante kilomètres d’Oslo, déguisé en policier, Anders Breivik, 32 ans, assassine 69 personnes, en majorité des adolescent-es. Il commet d’abord un attentat à la bombe visant un édifice gouvernemental à Oslo, causant la mort de huit personnes. Le 24 août 2012, il est reconnu responsable de ses actes et condamné à la peine maximale, soit 21 ans de prison, une peine qui est prolongeable. Les victimes sont membres des Jeunesses travaillistes, dont Breivik compare, dans son discours, les camps à Utøya à l’endoctrinement fait en leur temps par les Jeunesses hitlériennes. Selon lui : « L’AUF (Ligue des jeunes travaillistes du Parti travailliste norvégien, ndr), présente de nombreuses similitudes avec les Jeunesses hitlériennes et Utøya n’est rien d’autre qu’un camp d’endoctrinement pour activistes politiques. »

Un discours répandu

Pour Breivik’s Statement, faire entendre le discours de Breivik dans un contexte autre que le procès très médiatisé, et souvent superficiel, événementiel dans sa couverture, est une façon pour Milo Rau de faire réfléchir sur l’une des dimensions de l’engagement d’action directe d’extrême droite et son discours proche, selon l’artiste suisse, de l’idéologie de l’UDC, dont la campagne anti-minarets est saluée par Breivik dans un autre document, son manifeste disponible sur le net, 2083. Une Déclaration européenne d’indépendance. Le titre du manifeste de 1586 pages fait référence à une théorie de groupuscules néonazis des pays nordiques qui situent le début de la « guerre des croisés contre les islamo-marxistes » en 1999 et sa fin, avec « le triomphe des nationaux », en 2083.

Pour Milo Rau, « si on oublie notamment les références à l’ordre des Templiers, à l’héroïsme sacrificiel, aux 12’000 ans d’histoire de « l’ethnie des Norvégiens de souche », vous avez un discours qui peut contribuer à faire gagner une initiative de l’UDC contre « l’immigration de masse » ou les minarets. Aux yeux de Breivik, le peuple suisse est l’un des seuls à être demeuré « libre » et « démocratique » en pouvant réaliser des initiatives contre « l’islamisation de la société ». » L’artiste bernois de 37 ans ajoute : « J’ai choisi une actrice allemande d’origine turque, qui est le contrepoint absolu de ce qu’est Breivik et la cible privilégiée de sa haine et de son ressentiment. On crée ainsi un effet de distanciation face à l’image publique du « terroriste », contribuant à avoir accès plus directement à ce que dit et pense vraiment l’auteur du discours. »

Dans le débat genevois qui « fait partie intégrante de la lecture » et la suit, Mondher Kilani, anthropologue et professeur à l’Université de Lausanne, relève : « La démarche de Milo Rau est remarquable, car il y avait ce danger de banaliser le discours de Breivik et de le normaliser. Néanmoins, il est en quelque sorte normalisé parce que certains et même beaucoup, de plus en plus, y participent. Cette proposition donne un moyen de débattre de ces propos. Je pense qu’il est plus important de placer ces écrits dans un espace théâtral que de les laisser hors de la scène et sur internet. »

Mégalomane et narcissique, Anders Breivik se réclame dans sa déclaration de la résistance de Sitting Bull en « défendant les Norvégiens de souche contre l’extinction ». Son plaidoyer débute ainsi : « C’est aujourd’hui en tant que représentant du mouvement de résistance anticommuniste et anti-islamiste norvégien et européen et en tant que membre de l’organisation des Chevaliers Templiers que je suis ici. Je m’exprime ici au nom de tous les Norvégiens, Scandinaves et Européens qui n’acceptent pas que nous, les peuples autochtones d’Europe, soyons dépouillés de nos droits culturels et territoriaux. »

Contactée à la veille de sa prestation scénique genevoise, la comédienne Sascha Ö. Soydan explique : « Si cette performance-lecture n’existait pas, personne sans doute n’aurait entendu ce discours. Sachant que ce meurtrier n’est ni fou ni psychotique, comme la Cour l’a déclaré lors de son procès, comment peut-on raisonnablement essayer d’approcher la mentalité et le caractère d’une personne qui a exécuté 77 personnes et fait 151 blessés à Utøya et Oslo ? En ce sens, il est essentiel de connaître le type d’idéologie et la structuration d’un raisonnement sur lesquels il base ses actes et forge sa motivation. A mon sens, il ne faut pas les éloigner de nous ou les ignorer, car cet homme est issu d’une société occidentale contemporaine après avoir notamment été inscrit au Parti du progrès norvégien, formation néoconservatrice et populiste prônant un contrôle drastique des flux migratoires (16,3% des suffrages et 29 sièges, ndr). Il est extrêmement dommageable de ne pas être informé et je fais de mon mieux en ce sens. » Elle ajoute : « Le point principal est qu’il décrit l’immense majorité de son peuple, ses concitoyens comme étant son principal ennemi. Ils sont qualifiés par Breivik « d’islamistes » et de « marxistes culturels ». Il se considère traité comme un citoyen de second ordre dans son propre pays. Et cela se révèle éminemment dangereux. Il faut s’efforcer de relever les soubassements théoriques et pratiques de ses écrits ».

A son départ, la jeune femme de 42 ans refusera de serrer la main d’Yves Nidegger.

BTT

La vidéo de la première représentation du Discours de Breivik (Breivik’s Statement) en allemand (Breivik’s Erklärung) le 26 septembre 2013 à Weimar peut être visionnée sur le net : http://www.youtube.com/watch?v=Se4St4RDMew. Rens. : www.international-institute.de (en allemand).

Sur la notion de « marxisme culturel » : Jérôme Janin, « Anders Breivik et le « marxisme culturel » : Etats-Unis/Europe », Amnis, 12/2013. Consultable sur : http://amnis.revues.org/2004#quotation

Photos Breivik’s Statement : IIPM – International Institute of Political Murder / Thomas Müller