Superbe expo Renoir à Martigny

EXPOSITION • La Fondation Gianadda présente un florilège qui illustre les différents aspects de l’oeuvre du maître.

La Fondation Gianadda présente un florilège qui illustre les différents aspects
de l’oeuvre du maître.

« Peut-être Renoir est-il le seul
peintre qui n’ait jamais peint un
tableau triste », disait Octave
Mirbeau. La riche exposition de Martigny
procurera donc au visiteur l’enchantement et
le sentiment de bonheur que suscite à
chaque fois l’oeuvre du maître. De surcroît,
elle permettra de mieux comprendre celleci.
Et d’abord en réglant leur compte à certains
clichés, comme celui de Renoir catalogué
« impressionniste ». Certes, dès 1862, à
l’atelier de Gleyre, il se lie d’amitié avec
Claude Monet, Frédéric Bazille et Alfred
Sisley. Ils seront les « quatre mousquetaires
de l’Impressionnisme », et plusieurs tableaux
de l’exposition, comme Champs de roses, à la
touche frémissante, montrent à l’évidence
cette appartenance. Mais dès 1883, Renoir
s’en éloigne. Il ne se veut pas « novateur », il
« rentre dans le rang ». Il revient aux grands
maîtres qui l’ont tant fasciné : les peintres
français du XVIIIe siècle (Boucher, Fragonard),
Corot, les Vénitiens (surtout Le
Titien), Vélasquez, Rubens. Toute sa vie, il a
aimé la belle facture, la belle matière. Méditons
ce propos dont pourraient s’inspirer
certains artistes conceptuels contemporains :
« La peinture n’est pas de la rêvasserie. C’est
d’abord un métier manuel et il faut le faire
en bon ouvrier. »

Dans les premiers tableaux présentés, on
remarquera un curieux Arlequin et Colombine
de 1861. L’oeuvre atteste à la fois l’apprentissage
de Renoir comme peintre sur
porcelaine et son admiration pour Watteau,
dont il avait pu voir l’Embarquement pour
Cythère
au Louvre. Même si Renoir, qui a
privilégié la figure humaine, n’est pas à proprement
parler un peintre de paysages, l’exposition
en présente de très beaux, croqués
tant à Alger (où l’artiste va sur les traces de
l’orientaliste Delacroix qu’il admire) qu’à
Capri et sur la Côte d’Azur. Ils sont tous
vibrants, et on y reconnaît sa touche de pinceau
si particulière, longiligne. Il y a très
peu de paysages enneigés chez lui : il considère l’hiver comme une saison triste et
morne… Les natures mortes ne sont
pas non plus absentes à Martigny. Ce
sont surtout des bouquets de fleurs.
Quelle symphonie de couleurs dans ces
roses ou ces dahlias que lui apportait
son épouse Aline ! On admirera aussi le
talent du portraitiste. Qu’il s’agisse
d’oeuvres de commande pour des aristocrates,
de grands bourgeois, dans les
vêtements qui traduisent leur statut
social, ou de gens simples (Gabrielle, la
bonne de ses enfants et son modèle préféré,
telle Marchande de fruits), on sent
l’empathie du peintre envers les êtres,
son ignorance des différences de classe.
Il est sensible à la mode féminine, aime
parer ses sujets d’étoffes et de chapeaux
variés. Dans ses portraits aussi, la référence
aux grands maîtres du passé est
perceptible : ainsi dans Jeune Fille au
chapeau noir à fleurs rouges, qui fait
songer aux célèbres miniatures de Jean
Clouet, le peintre de François Ier. On
notera aussi la présence d’un portrait de
Richard Wagner, dont Renoir, passionné
de musique, fut l’un des premiers
admirateurs en France.

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« Femme s’essuyant la jambe droite », vers 1910. Renoir était en extase devant les corps féminins, qu’il magnifie. L’artiste, qui
disait « peloter » ses modèles sans les toucher, par le seul médiat de son pinceau sur la toile, exalte les chairs opulentes. (Museu de Arte de Sao Paulo Assis Chateaubriand)

Un adorateur du corps de la femme

Ce sont surtout ses fameux nus qui
emportent l’adhésion. Renoir n’est
certes pas un féministe. Il veut les
femmes au foyer, mères et nourricières.
Mais il est en extase devant leur corps,
qu’il magnifie. Il l’exprime en des
termes assez crus, mais qui respirent
l’innocence édénique et non la vulgarité :
« Ah ! ce téton, est-ce assez doux et
lourd ! Le joli pli qui est dessous avec ce
ton doré ! » Dans ses tableaux, les chairs
sont opulentes, les hanches larges, les
fesses d’un bel arrondi, les seins fermes
avec leur joli bouton de rose, le duvet
pubien suggéré. L’artiste accuse l’amplitude
de la poitrine, la rondeur du
ventre : cela correspond à l’exaltation de
la Fécondité qu’il partage avec Emile
Zola, auteur d’un roman éponyme. Il ne
renie pas l’exemple de ses maîtres : « La
Diane au bain de Boucher est le premier
tableau qui m’ait empoigné. » Dans
l’antagonisme qui, à la Renaissance, a
opposé Florence (la primauté du dessin)
et Venise (celle de la couleur), tantôt
il penche vers l’une, tantôt vers
l’autre. Dans le premier cas, il se rapproche
d’Ingres, et même de Gleyre,
dont les nus nous paraissent pourtant
aujourd’hui si académiques. Ailleurs, et
surtout dans les dernières années, il
arrondit encore les formes, privilégie
les roses et les rouges, pour sanctifier
cette chair féminine faite à ses yeux de
sang et de lait. Les chevelures blondes
ou rousses qui ruissellent sur les corps
traduisent l’érotisme, la sensualité innocente
de Renoir, qui disait « peloter » ses
modèles sans les toucher, par le seul
médiat de son pinceau sur la toile. De
ses nus féminins, la Fondation Gianadda
offre des exemples tout simplement
remarquables.

Le second thème majeur de l’exposition
de Martigny, ce sont ses portraits
d’enfants tout de grâce, de tendresse,
d’innocence, mais sans mièvrerie. Ils
expriment aussi ce qu’il y a d’inachevé,
en devenir, dans l’enfance. Et peut-être
le regret du paradis perdu qui est au
centre de l’oeuvre de Marcel Proust.
Combien gracieuses et touchantes sont
ces deux petites filles qui se tiennent
par la main, issues de la grande bourgeoisie
juive, revêtues de tulle et d’une
ceinture de soie rose ou bleue, Alice et
Elisabeth Cahen d’Anvers ! La seconde
mourra en déportation entre Drancy et
Auschwitz en 1944, ce qui confère a
posteriori une sorte de gravité au
tableau. Un Renoir plus intime saisit les
enfants au naturel, avec les expressions
et les gestes qui leur sont propres : ainsi
ce délicieux portrait des enfants de
Martial Caillebotte (le frère du peintre),
Jean et Geneviève, penchés sur un livre
d’images. Un détail amusant : la longue
chevelure sertie d’un ruban que portent
alors les petits garçons. Mentionnons
encore L’Enfant à la pomme, adorable
tableau où Jean, l’un des fils du peintre
(qui deviendra un cinéaste célèbre),
dans les bras de Gabrielle, tente de saisir
le fruit de sa petite main potelée.
Renoir, visiblement, aimait les enfants.
Sait-on qu’il fut à l’origine de la Pouponnière
de Paris ? Il y a une grande
humanité dans son oeuvre, c’est sans
doute aussi ce qui nous la rend si
proche et attachante.

Et en plus, vitraux et photographies

La visite de la Fondation permet accessoirement
de voir deux autres expositions.
La première est consacrée à deux
ensembles de vitraux offerts par Léonard
Gianadda : l’un au temple protestant
de Martigny, enrichi par les créations
du toujours jeune centenaire Hans
Erni, qui procurent au croyant comme
au laïc un sentiment de paix et d’harmonie ;
l’autre aux flamboyants vitraux
abstraits créés par le Père Kim En
Joong, moine-artiste, pour la chapelle
catholique de la Batiaz. La seconde
montre les photographies, réalisées par
Michel Darbellay, des multiples sculptures
visibles dans le beau jardin de la
Fondation, en osmose avec les quatre
saisons. La neige par exemple, qui couronne
telle ou telle figure de bronze, lui
donne un caractère d’étrangeté et lui
confère une existence nouvelle.


Fondation Pierre Gianadda, Martigny, jusqu’au
23 novembre.