Annick Ecuyer: «La société veut faire entrer les gens dans des cases»

Longs cheveux, maquillage, jupe et hauts talons. Pour une femme transgenre, il faut correspondre aux stéréotypes de l'imaginaire patriarcal, subir des traitements drastiques et passer une batterie de «tests» simplement pour vivre en accord avec soi-même. Une situation dénoncée par Annick Ecuyer, communiste, transgenre, et candidate au Conseil municipal de la Ville de Genève. Rencontre.

Dynamique et volubile, Annick Ecuyer, a de toute évidence des choses à défendre. Candidate du Parti du Travail au Conseil municipal de la Ville de Genève, cette militante de longue date, informaticienne de métier, a accepté de nous rencontrer pour évoquer son parcours et ses revendications.

Fille d’Hélène Ecuyer, qui se présente au Conseil administratif de la Ville (lire ci-dessus), elle a été plongée très jeune dans les milieux politiques engagés. «J’ai fait mes premiers cortèges du premier mai en poussette, et à 18 ans, j’ai naturellement pris ma carte au Parti du Travail!», explique-t-elle, en précisant avoir toujours défendu une société plus juste et équitable, qui soit basée sur une répartition égale des richesses et la liberté individuelle. Parmi ses revendications, des salaires décents, des conventions collectives de travail, une bonne protection contre les licenciements, la participation politique des personnes qui n’ont pas la nationalité suisse ou l’égalité de traitement pour tou-te-s. De longue date, elle est en outre sensible aux questions féministes: «Dans les réunions de parti, il arrivait souvent qu’une bonne proposition faite par une femme ne soit pas prise en compte, alors que, reprise par un homme cinq minutes plus tard, tout le monde l’écoutait. Avant je savais qu’il y avait du sexisme, mais je le vis bien plus depuis que j’ai entamé ma transition. L’espace public n’appartient définitivement pas aux femmes mais aux hommes!», confie-t-elle.

« L’association du genre et du sexe biologique est une chose très ancrée »
Pour celle qui est aujourd’hui active dans plusieurs associations LGBTIQ et féministes, les discriminations envers les LGBTIQ, auxquelles elle est directement exposée en tant que femme transgenre*, découlent du sexisme: «Le système patriarcal impose un modèle familial standard que ces personnes remettent en question, et cela dérange. Par exemple, on reproche aux homosexuels de ne pas contribuer à la reproduction mais aussi de vouloir des enfants! De même, l’association du genre et du sexe biologique est une chose très ancrée, fondamentale pour beaucoup de gens, et la remettre en question est difficile. Il y a une forte volonté de la société de faire entrer les gens dans des  »cases ». Les personnes^transgenres le vivent particulièrement intensément, puisque, pour être reconnues légalement, on les force à reproduire tous les stéréotypes du genre vécu: pour une femme, porter des longs cheveux, des robes, etc… En gros, il faut être  »baisable par un homme », et correspondre à des clichés que beaucoup de femmes ne remplissent pas!»

Les exigences ne se limitent toutefois pas à cela: «Pour changer de sexe légal, soit avoir des papiers d’identité correspondant au genre de son choix, on impose à la personne un traitement médical qui la rend stérile, et le processus est extrêmement long: une thérapie psychiatrique qui doit permettre établir un «diagnostic psychologique de transsexualisme», vivre dans le genre souhaité pendant un certain temps, soit passer pour une personne travestie et donc être regardée bizarrement par tout le monde, effectuer un traitement avec des hormones féminines ou masculines durant un an, puis repasser devant un psychiatre, avant qu’une opération génitale ne soit possible», explique Annick Ecuyer, qui précise que si les exigences peuvent varier d’un canton à l’autre, la procédure est particulièrement stricte à Genève. «C’est une pression pour empêcher les gens qui ne sont pas assez solides mentalement de continuer!», s’insurge la candidate, qui revendique la libre disposition de leur corps pour les personnes transgenres.

«Une diversité qui n’a pas à être cachée»
Comment associe-t-elle sa candidature à son parcours personnel? «Je suis ce que je suis, mes opinions politiques n’ont pas changé. Au contraire, elles se sont plutôt renforcées. Avant, je luttais plus par rapport à la classe sociale, maintenant je défends aussi les classes  »étiquetées » comme étant différentes. Je suis devenue très active sur ces questions. C’est aussi une démarche d’affirmation. Et puis nous n’avons pas beaucoup de voix dans les parlements, c’est donc important de nous faire entendre, car cette diversité n’a pas à être cachée. J’ai la chance d’avoir pu opérer ma transition dans de relativement bonnes conditions, je me dois donc de parler, car beaucoup ne peuvent pas le faire, par peur de perdre leur travail, leur famille, etc.»

Pour Annick, il est aussi important de s’engager en politique en tant que femme. «On ne va pas nous donner la place, il faut donc la prendre!» Elle défend d’ailleurs la création d’espaces dans les milieux politiques pour que les questions féministes et LGBTIQ soient abordées. Parmi ses revendications, le droit de disposer de son corps et de ne pas être discriminé en raison de son genre, mais aussi l’introduction d’une protection légale spécifique contre les agressions liées au genre, le droit au mariage et à l’accès à la fécondation in vitro pour les personnes de
même sexe, ou encore une large information sur la question du genre. «On part toujours de l’idée que la personne en face est en accord avec son sexe biologique et hétérosexuelle, mais ce n’est pas forcément le cas! Il faut reconnaître qu’il y a une diversité et l’enseigner, notamment dans les écoles, où elle n’est jamais abordée. On dit qu’il y aurait une personne transgenre sur 100’000, mais en réalité, le chiffre est sans doute plus proche d’une sur 100!»

En attendant de pouvoir porter ces revendications au Conseil municipal, Annick Ecuyer est pour l’heure inscrite comme un homme sur le site de la chancellerie l’Etat de Genève. La preuve que le chemin est encore long!

* Une personne transgenre est une personne dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe qui lui a été assigné à sa naissance.