Femmes et laïcité en Tunisie

Entamé avant la chute de Ben Ali, le documentaire de Nadia El Fani, présenté dans le cadre du passage de la MMF à Genève, offre un éclairage intéressant sur le rapport de la population tunisienne à la religion et sur le rôle des femmes dans cette société.

En août 2011, Nadia El Fani commence un documentaire en Tunisie, son pays, lors du ramadan. Elle s’interroge alors sur «l’hypocrisie sociale» entourant ce pilier de la religion musulmane au cœur de la dictature qui instrumentalise la religion. Le ramadan étant une pratique visible de tous, la pression qui l’entoure est colossale. On se cache pour déjeuner bien que 70% des Tunisiens ne respectent pas le jeûne, selon une personne interviewée. Nadia El Fani précise lors du débat qui suit la projection: «Quand on utilise la religion, elle vous revient dans la figure», faisant référence à la montée des islamistes après la chute de Ben Ali puis à leur élection. Pour elle, il est clair qu’aujourd’hui, dans une situation qui s’est aggravée, ce sont «les femmes et les jeunes qui font tenir la Tunisie», c’est-à-dire qui l’empêche de sombrer dans l’extrémisme même si «les salopards qu’on a élus on fait alliance avec les islamistes pour satisfaire l’Europe et surtout les Etats-Unis», qui se positionnent dans la région notamment en raison du conflit syrien.

Le documentaire montre le courage des femmes qui manifestent, avec des pancartes, leur volonté d’avoir une place dans la société civile. Nadia El Fani souligne que la Tunisie connaît une situation particulière, car la classe moyenne éduquée, qui représente le terreau contestataire, est importante et que dans celle-ci les femmes sont très bien représentées. Le grand sujet reste et demeure cependant avant tout la laïcité, dans un pays dont la nouvelle constitution de 2014 stipule dans son article premier que «la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime». Les esprits s’échauffent à la seule évocation du mot «laïcité», comme s’il représentait une menace pour tout un chacun. L’amalgame est fait entre celui-ci et «athéisme», parce que, selon Nadia El Fani, «l’ambiguïté entre les deux mots est entretenue par les islamistes». L’athéisme ouvre grand les portes de la peur pour les musulmans et referme par là même le dialogue.
Mais qu’est-ce que la laïcité? Selon le Larousse, c’est «le caractère de ce qui est laïc, indépendant des conceptions religieuses ou partisanes. Système qui exclut les Eglises de l’exercice du pouvoir politique ou administratif et en partie de l’organisation de l’enseignement public». Son étymologie grecque laikos, ou latine laicus: qui appartient au peuple, ouvre un espace de liberté tel qu’il en effraie plus d’un. Autrement dit, un grand bond en avant par rapport à une conception religieusement organisée (donc contrôlée) de la vie. Nadia El Fani soulève aussi le problème du mot même. En effet, il existe dans très peu de langues, dont l’arabe ne fait pas partie. A l’époque où les mots anglophones envahissent notre vocabulaire, le mot laïcité, inventé en France, ne pourrait-il pas s’exporter dans le monde entier et promouvoir un espace de liberté pour chacun et surtout pour les femmes.