Refuser le faux dilemme

analyse • Sur la base d’une intervention d’Alvaro Garcia Linera, vice-président de l’Etat plurinational de Bolivie, le groupe de réflexion du POP neuchâtelois a devisé sur le dilemme entre participation aux élections et démocratie de rue.

C’est à Buenos Aires, le 12 mars 2015 qu’Alvaro Garcia Linera s’est adressé aux participantes et participants d’un forum international sur les relations entre l’Amérique latine et l’Europe. «La démocratie représentative, la formation des partis, les campagnes électorales, les élections sont autant de marques qui s’essoufflent, comme le démontre le malaise existant, la colère, le scepticisme, le désespoir, la détresse, l’angoisse et la résignation personnelle des habitants», a-t-il affirmé. Pour lui, le vote et le système de représentation sont des éléments fondamentaux de la constitution démocratique des Etats, mais, il estime qu’en parallèle, d’autres moyens peuvent enrichir la démocratie comme la démocratie pratiquée dans les manifestations, les syndicats, les assemblées et les communautés. Et de rappeler qu’en Bolivie, la politique d’Evo Morales n’aurait pas pu résister aux attaques des forces conservatrices, des puissances extérieures et des organisations internationales sans l’accompagnement, l’impulsion et la protection venue de la démocratie de la rue.

Pour l’orateur, «bien entendu les systèmes électoraux sont des systèmes démocratiques. Mais ce sont des démocraties fossiles. Les citoyens sont apathiques, confinés dans leurs maisons avec du beurre et du pain pour la journée. Comment participent-ils? Comment décident-ils? Décident-ils du sort de leur quartier? Décident-ils du sort de leur canton? Décident-ils du sort de leur pays? Est-ce qu’ils décident les licenciements dans les entreprises? Est-ce qu’ils décident les investissements? Est-ce qu’ils décident sur la croissance de l’économie? Est-ce qu’ils décident l’affectation budgétaire pour la santé et l’éducation? Ils ne le font pas. C’est une minorité, une caste, une élite qui décide». Linera affirme que la seule façon pour enrichir la démocratie, c’est l’entrée en vigueur de la démocratie de la rue, de la démocratie des organisations, de la force des mouvements sociaux. «L’émergence des expériences comme Syriza et Podemos, ne peut pas se soutenir seulement par les victoires électorales, mais aussi par un dialogue permanent entre les nouveaux pouvoirs et les peuples, entre les nouveaux pouvoirs et la démocratie des hommes et des femmes touchés par les politiques d’austérité et qui se sentent appelés à construire un destin commun, à prendre les rues, à rencontrer leurs voisins et leurs compagnons, à créer un autre type de relations sociales, un autre type de communauté. Le dilemme «autonomie ou Etat» est un faux dilemme. La bataille pour la gouvernance de l’Etat exige en même temps de lutter pour l’autonomie de la société. Et plus nous nous battons pour l’autonomie de la société, plus nous devons agir pour la transformation de la force de l’Etat lui-même. L’un dans l’autre, l’un pour l’autre. Marx nous a dit, «l’Etat est une communauté illusoire». C’est quelque chose qu’un révolutionnaire ne doit jamais perdre de vue». Il rend attentif à la fétichisation de l’Etat, qui fait courir le risque d’oublier qu’il est un moi collectif difforme. Parce que, même s’il est un moi collectif qui unit tout le monde, il représente à la fois les intérêts de groupes particuliers. «Nous pouvons constater la pratique des puissants qui savent comment gérer de manière monopolistique, abusive et autoritaire les biens communs pour un usage privé. Nous devons lutter pour la maîtrise de l’Etat, mais sans être absorbé par la puissance de l’État. Et tandis que nous nous battons pour la conquête du pouvoir d’Etat, nous ne pouvons jamais oublier l’importance de renforcer le local, l’autonomie, toutes les organisations et expressions différentes de l’Etat. Ainsi on se déplace sur deux pieds».

A partir de cette intervention, les participants à la réunion ont tenté d’examiner comment introduire une telle démarche dans notre pays. Leur conclusion s’est dirigée vers deux pratiques fondamentales et complémentaires: une extension de l’information auprès du peuple, et la création au sein du parti d’un groupe travaillant essentiellement à l’établissement de liens vivaces avec les gens et les associations, pour que la démarche électorale soit davantage porteuse de ce qui vient du peuple. Une telle mise en œuvre n’est pas facile à créer, tellement les habitudes sont tenaces, mais elle seule permettra à la fois la survivance et l’utilité du parti et l’épanouissement de la population.