Le David grec défie le Goliath de l’UE

Grèce • Face au chantage de l’Union européenne qui exige encore plus de sacrifices de la Grèce en échange d’un plan d’aide de 7,2 milliards, le gouvernement d’Alexis Tsipras en appelle avec raison au peuple pour l’appuyer dans son choix d’une sortie de l’austérité.

La coupe est pleine pour la Grèce qui refuse de mettre un genou à terre une nouvelle fois. «L’Eurogroupe a lancé un ultimatum à la démocratie grecque et à son peuple. Un ultimatum contraire aux principes fondamentaux et aux valeurs de l’Europe. Face à ce chantage qui exige que nous acceptions une sévère et offensante austérité sans fin et sans perspective de récupération sociale et économique, je vous demande de répondre ce samedi de façon orgueilleuse et souveraine, comme l’histoire grecque le demande», a expliqué à la télévision le Premier ministre grec, avant d’annoncer pour le 5 juillet un référendum sur la nouvelle cure d’austérité proposée par l’UE à son pays. Parmi les mesures dénoncées, on trouve tout à la fois une hausse de l’âge de la retraite qui passerait de 62 à 67 ans, une plus grande déréglementation du marché du travail, de nouvelles réductions de salaires pour les fonctionnaires ou une hausse drastique de la TVA. Un programme complètement incompatible avec celui de Syriza, parti qui a été élu le 25 janvier dernier sur sa volonté de lutter contre toute nouvelle politique d’austérité et pour la justice sociale.

Dans le même temps, le Fonds monétaire international (FMI) a critiqué le gouvernement grec de vouloir ponctionner davantage les plus riches, alors que la lutte contre la fraude fiscale – une réforme qui requiert du temps pour être mise en place – est au centre du programme du nouveau gouvernement. En échange de ce paquet ficelé, les créanciers envisageaient de débloquer 7,2 milliards d’euros – une somme que les Grecs pourraient d’ailleurs facilement obtenir des Russes, sous forme de prêt qui doit servir… à rembourser illico presto 1,6 milliard dû au FMI au 30 juin, puis 6,5 milliards dus à la BCE en juillet et août. Comme si cela n’était pas assez, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, en a profité dans la journée du 30 juin pour faire passer Alexis Tsipras pour… un ingrat, en insinuant que l’exécutif européen était prêt à concéder une prolongation du programme d’assistance financière de 15,5 milliards au lieu des 7,2 milliards et à financer un plan d’investissement sur quatre ans de 35 milliards pour soutenir l’économie grecque. Si l’on peut douter que ce revirement européen ne soit pas purement stratégique, il montrerait pourtant que les créanciers de la Grèce (Commission européenne, FMI, BCE) commencent lentement à comprendre que la cure d’austérité infligée depuis 5 ans aux Grecs pour réduire la dette ne marche pas. En 2009, juste avant le premier plan d’austérité, elle s’élevait à 128% du PIB. Cinq ans plus tard, celle-ci atteint les 180% du PIB. «On ne peut pas continuer à exiger des concessions de notre part sans alléger le fardeau», relevait Georges Katrougalos, ministre de la réforme administrative et grand organisateur du référendum du 5 juillet, cité dans Libération.

Des milliards pour renflouer les banques
L’Europe s’est montrée aussi discrète sur la finalité de ces prêts octroyés à la Grèce. Entre 2010 et 2013, la Grèce a reçu 207 milliards d’euros en prêts des États européens et des institutions européennes, mais 77 % de ces prêts – soit 159 milliards – ont servi à recapitaliser les banques privées grecques ou ont été versés directement aux créanciers de l’État grec, pour l’essentiel des banques européennes et américaines. «Pour 5 euros empruntés, 1 seul est allé dans les caisses de l’État grec! Ces 207 milliards ont donc beaucoup “aidé“ les banques et les créanciers mais très peu la population grecque», explique ainsi l’association altermondialiste Attac, qui a scruté les comptes.

Plus fort encore, malgré cet état de fait et les faux procès sur l’incurie de l’Etat grec, celui-ci a dégagé en 2014 un solde budgétaire primaire – soit la situation budgétaire d’une unité institutionnelle endettée avant le paiement du service de la dette – le plus élevé de l’UE, à 4,3% de son PIB contre 2,9% en Allemagne ou -0,4% en France. «La Grèce est aussi derrière le Portugal, le pays d’Europe qui a fait le plus d’effort depuis 2010 pour redresser ses comptes publics avec un saut de 8,3 points de PIB en matière de déficit structurel», relève ainsi Guillaume Duval, rédacteur en chef de la revue Alternatives économiques.

L’UE veut tuer toute alternative politique

Mais derrière le coup de force des créanciers et tous leurs chantages, il apparaît, de façon évidente, que l’enjeu pour le Goliath européen est politique, afin de montrer qu’il n’existe aucune alternative hors du néolibéralisme et de l’austérité à outrance. L’objectif étant de punir toute tentative de la gauche combative de faire primer les intérêts des citoyens et leur protection sociale au détriment de ceux du capital privé et de la finance. «On aurait tort de voir dans la confrontation actuelle l’expression d’un égoïsme grec s’opposant à d’autres égoïsmes nationaux. Le gouvernement grec est porteur d’un intérêt général européen. En remettant ouvertement en cause les logiques économiques absurdes qui maintiennent toute l’Europe», explique ainsi le collectif français des Economistes atterrés. Ils rappellent aussi qu’un échec du gouvernement grec ouvrirait un boulevard pour les forces nationalistes et xénophobes «qui se nourrissent de la crise et du déficit démocratique de l’Union». De son côté, appuyant sans réserve le droit du peuple grec à refuser l’acharnement austéritaire de l’UE et à dire non le 5 juillet, comme le font les prix Nobel d’économie, Paul Krugman et Joseph Stiglitz, l’Association de soutien au peuple grec (ASPG) qui vient de se créer à Genève, voit dans ce référendum l’occasion historique d’un changement de cap. «Alexis Tsipras ose, l’effronté, soumettre au peuple des choix qui le concernent! Il est vrai que, un refus grec ce dimanche pourrait donner des idées à d’autres peuples, l’idée peut-être d’arracher aux “bailleurs de fonds“, c’est-à-dire aux propriétaires de capitaux, le droit de décider de l’avenir d’une société tout entière», s’enflamme ainsi l’association.

La balle est désormais dans le camp du peuple grec, qui devra décider s’il approuve ou non la nouvelle cure d’austérité concoctée par Bruxelles. Un choix sur lequel l’UE pèsera de tout son poids, en menaçant le pays d’être exclu de l’euro tout au long des jours qui mènent au scrutin.