La Fondation Gianadda replace Matisse dans le contexte des mouvements artistiques de son temps

Peinture • L’exposition de Martigny, à la fois belle et intelligente, offre un florilège de l’art français entre 1890 et 1955.

On pourra suivre l'évolution de l'artiste tout au long de son siècle.

L’exposition pourra, au début, décontenancer un peu le visiteur. En effet, la moitié des œuvres présentées se réfère à d’autres artistes que celui qui est mis en valeur. Mais quel florilège, on le verra par les noms qui vont suivre ! La production d’Henri Matisse lui-même ne comprend que peu d’œuvres de tout premier plan du Maître. Cette présentation est néanmoins fort intéressante à un double titre. Elle montre d’abord – si besoin était – qu’un grand peintre n’est pas un météore tombé du ciel, mais qu’il s’inscrit dans le contexte artistique de son temps. Elle permet d’autre part de suivre l’évolution de Matisse, avec les influences subies, les confrontations fécondes qui l’ont toujours fait aller de l’avant. L’exposition s’intitule donc à juste titre «Matisse en son temps».

Les Fauves
Tout commence dans l’atelier du peintre symboliste Gustave Moreau. Là, Matisse se lie notamment avec Albert Marquet. La mise en cimaise des toiles procède souvent, très intelligemment, par juxtapositions et comparaisons. Il est donc intéressant de voir côte à côte le Pont Saint-Michel peint par Marquet et par Matisse. Ce dernier se rapproche aussi de l’intimisme de Pierre Bonnard et fait un détour par le pointillisme. Mais surtout, comme d’autres hommes du Nord (il est né en 1869 au Cateau-Cambrésis), Matisse va être fasciné, à Saint-Tropez et Collioure sur les bords de la Méditerranée, par l’intensité des couleurs du Midi. C’est là que naît le grand coloriste ! En 1905, il participe donc tout naturellement au fauvisme, dont les couleurs violentes et presque agressives – ainsi le visage jaune et vert de La Femme au chapeau- font hurler le bourgeois et la critique, d’où l’appellation de «Fauves» dont on gratifia par dérision les membres de cette école. C’est l’occasion d’admirer aussi de belles toiles d’Henri Manguin et d’André Derain, dont on peut voir une superbe rade de Collioure avec les mâts rouges de ses bateaux dressés vers le ciel. Entre 1914 et 1917, Matisse se rapproche du cubisme, incarné notamment par Juan Gris, mais n’y adhérera pas longtemps. Il restera fidèle à la figuration.

Matisse et Picasso
On ne mettra jamais assez en évidence la profonde impression que font sur Matisse l’Algérie (en 1906), puis le Maroc (entre 1911 et 1913). Il en rapporte le goût des étoffes très colorées et riches en ornements, des arabesques propres à l’art islamique, des tapis, des poteries indigènes qui vont désormais garnir ses intérieurs. Il renoue aussi avec l’orientalisme exotique qui avait déjà fasciné Delacroix ou Eugène Fromentin. Apparaît alors un grand thème de son œuvre, les odalisques, ces femmes vouées au plaisir reposant lascivement sur des fonds de tapisseries chatoyantes. On remarquera notamment une superbe Odalisque à la culotte rouge. Là aussi, éclairante confrontation entre des figures féminines couchées de Matisse et Picasso. Il n’est pas faux d’opposer les deux artistes, comme l’a fait Wassily Kandinsky de façon certes un peu abrupte: «MATISSE : couleur, PICASSO : forme». Entre ces deux géants s’est instaurée une relation de respect mutuel …mais aussi de concurrence, qui les a sans doute stimulés et fait progresser. Il est par ailleurs frappant de retrouver chez l’un et l’autre, à certaines époques, un retour au classicisme.

N’oublions pas un autre aspect important de l’œuvre de Matisse, l’art ornemental. Cela commence avec la commande d’un décor par le grand bourgeois et collectionneur russe S. Chtchoukine, qui permettra au peintre de créer ses grandes compositions si célèbres, telles que La Musique et surtout La Danse (1909-1910), avec sa ronde de figures très simplifiées rouge-orange sur un fond bleu et vert, fait de couleurs pures. C’est aux achats de cette bourgeoisie russe ouverte aux avant-gardes que l’on doit, après leur nationalisation, la présence de fabuleuses collections au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Très décoratif aussi, le Grand Nu rose aux formes épurées, qui correspond au modernisme des années 30 et peut faire songer à une sculpture d’Henry Moore, l’une de celles que l’on trouve dans le jardin magique de la Fondation.

Des gouaches extraordinaires
Dans les deux dernières décennies de sa vie, Henri Matisse, atteint dans sa santé, dut renoncer peu à peu à peindre. Ce qui nous vaut ses extraordinaires gouaches découpées, dont l’exposition présente un superbe ensemble. Un grand nombre d’entre elles sont des planches pour le livre Jazz : quel sens de la mise en place des formes et des couleurs, toujours intenses ! On admirera aussi ses grands découpages inspirés par son voyage à Tahiti de 1930, où il a juxtaposé oiseaux et animaux marins : poissons, méduses, poulpes stylisés.

Mentionnons encore, accompagnant l’exposition, une belle série de photographies d’Henri Cartier-Bresson, qui a réalisé d’admirables portraits de Matisse bien sûr, mais aussi de Pierre Bonnard, Pablo Picasso, Alberto Giacometti et de nombreux autres artistes ou écrivains.