Aleida Guevara sur les traces du Che

Cuba • Aleida Guevara, fille aînée du second mariage de Che Guevara, était récemment de passage en Suisse pour une conférence intitulée «Cuba, la fin du socialisme?» A cette occasion, nous l’avons interrogée sur la situation dans l’île et les récents rapprochements avec les Etats-Unis.

Malgré les rapprochements avec les Etats-Unis, Cuba attend toujours la levée du blocus instauré depuis plus de 50 ans par le pays de l’Oncle Sam et entend continuer à défendre son modèle social.

Aleida Guevara, fille du Che, défend les avancées sociales à Cuba en matière de santé publique ou d’éducation gratuite.
Aleida Guevara, fille du Che, défend les avancées sociales à Cuba en matière de santé publique ou d’éducation gratuite.
On vous connaît comme la fille du Che, mais finalement qui est Aleida Guevara? Ce statut de «fille de» est-il parfois difficile à porter?
J’ai étudié la médecine à Cuba et au Nicaragua et me suis spécialisée en pédiatrie. Après mon diplôme, j’ai travaillé en Angola. L’Afrique m’a marqué pour toujours. J’en suis revenue décidée à lutter contre le colonialisme et le racisme. J’utilise une partie de mon temps pour la médecine et une autre pour défendre mon pays. Il y a une grande méconnaissance de la réalité des cubains et de l’effort extraordinaire qu’ils font pour survivre. J’essaie aussi de rester internationaliste. Je collabore avec le Mouvement des sans-terre au Brésil, notamment. Finalement, je travaille avec les jeunes de l’Ecole latino-américaine de médecine de La Havane. Malgré toutes nos difficultés, nous continuons à former des hommes et femmes avec une grande sensibilité humaine… pour moi c’est le plus beau de la révolution cubaine. Je me sens très satisfaite et cela ne m’importe peu que l’on m’identifie comme «la fille du Che». J’en suis même fière. Il a été un être humain très spécial, tout comme ma mère. C’était une relation intense, romantique, et je suis le fruit de cet amour.

Que pensez-vous des récents rapprochements de Cuba avec les Etats-Unis?
Je ne comprend pas la grande préoccupation que semblent avoir les européens à ce sujet. Si nous avons réussi à faire face au développement du tourisme européen, nous ferons face au tourisme américain également! Avec le tourisme, la prostitution, les drogues et la corruption sont entrés dans le pays. Nous avons du affronter ces problèmes, cela a été une école extraordinaire. Que peuvent faire les américains que n’auraient pas encore fait les européens?

Comment voyez-vous les possibilités accrues d’investissements américains?
Sans crainte. Nous pouvons avoir besoin d’investissements, mais ils se feront dans le respect de nos conditions. Il n’y aura aucun investissement des Etats-Unis à Cuba qui ne respecte pas les lois cubaines et qui ne soit pas au bénéfice du peuple cubain. Depuis 50 ans, les Etats-Unis ont essayé, avec le blocus, de faire en sorte que le peuple cubain se soulève contre son propre gouvernement, mais cela ne s’est jamais fonctionné. Maintenant ils reconnaissent l’absurdité de cette politique et essaient de rectifier, mais nous seront attentifs, car ce pays ne fait jamais rien gratuitement.

Le thème du rapprochement avec les Etats-Unis représente-t-il une préoccupation pour les Cubains?
Le seul sujet de préoccupation est «quand nous retireront-ils le blocus?». Ils ont installé une ambassade, mais pensent-ils que nous allons entretenir des relations normales avec un pays qui nous impose un blocus? C’est cela, l’opinion générale à Cuba. Ce qui nous fait le plus de mal, c’est le blocus. Jusqu’à ce qu’ils le retirent, nous ne pourrons pas avoir de relation normale.

Comme médecin, comment ressentez-vous les effets de ce blocus?
La médecine et les aliments sont les secteurs les plus touchés. On le ressent de façon très douloureuse: par exemple, dans l’hôpital où je travaille, un enfant nécessitait une valvule cardiaque spéciale dans le cadre d’une opération cardiaque, mais Cuba n’a pas pu l’acheter car les Etats-Unis détiennent un brevet sur la majorité des médicaments et ne permettent à aucune entreprise de nous les vendre.

«Il n’est pas possible de manipuler un peuple éduqué et cultivé»

Des personnes solidaires l’ont acheté aux Etats-Unis, mais on le leur a retiré à la douane. L’enfant est mort. Imagine! Un enfant qui meurt parce qu’un Etat ne te permet pas d’acheter le seul médicament qui pourrait le sauver, ceci alors que tu possèdes l’argent nécessaire! En parler, c’est facile, mais le vivre, c’est très dur.

Quelles solutions trouvez-vous?
Il nous est arrivé de devoir acheter des médicaments avec 4 ou 5 intermédiaires pour que l’entreprise d’origine ne soit pas sanctionnée. Cela ne fait qu’augmenter le prix alors qu’il est souvent déjà très cher à la base. Cuba a dépensé des millions de dollars à cause du blocus, mais les effets ne sont pas vraiment quantifiables. La douleur dans cette famille cubaine, tu ne peut pas la quantifier.

Malgré ces difficultés, Cuba est connu pour sa médecine. Qu’est-ce qui la caractérise?
La prévention, car prévenir les maladies est bien plus facile que de les soigner ensuite. L’éducation de la population est aussi importante. Il n’est pas possible de prévenir des maladies si les personnes ne comprennent pas ce que tu leur dit. Finalement, la santé est totalement publique et gratuite. Les gens ont donc accès à ce dont ils ont besoin, sans limites. Nous produisons également des médicaments, par exemple contre le SIDA, qui sont beaucoup distribués en Afrique.

Que répondez-vous aux personnes qui critiquent Cuba comme étant un pays où il n’y a pas de liberté d’expression, pas de respect des droits humains, etc….
Un jour, un enfant chilien qui fuyait le régime de Pinochet m’a dit: «Je n’ai jamais vu un pays qui prenne en charge totalement l’éducation de son peuple!». L’une des premières lois de la révolution cubaine a été l’alphabétisation, mais aussi la gratuité totale de l’éducation. Comment est-il possible de manipuler, de faire taire un peuple éduqué et cultivé?

«Ce n’est pas le système socialiste en soi qui est en cause»
Cet enfant a ajouté: «Je n’ai jamais vu un tyran qui s’occupe de la santé de son peuple et l’éduque à être solidaire avec tous les pays du monde». Aujourd’hui, Cuba a des médecins dans plus de 50 pays. Certains ont la capacité de payer ce service, et l’argent reçu est réaffecté à des missions dans des pays comme Haïti, qui compte 400 travailleurs de la santé cubains. Il y en a aussi 31’000 au Venezuela et 11’000 au Brésil, dans des endroits ou aucun autre médecin ne va, ou très peu. Sans liberté, cela serait impossible! Ceux qui disent ces choses ne connaissent pas mon peuple.

Mais si quelqu’un n’est pas d’accord avec ce système, peut-il le dire?
Il est possible que tu reçoive un poing dans la figure d’un cubain qui n’est pas d’accord… mais rien de plus. Ce que tu ne peux pas faire, c’est mettre une bombe, empoisonner quelqu’un, etc… C’est sanctionné par la loi. Il y a cependant une chose. Dans les journaux, il n’y a pas d’espace pour les gens qui parlent mal de notre peuple. Il y a des critiques, oui, et le ministre responsable doit y répondre. En revanche si quelqu’un vient depuis Miami, acheté par la CIA, et écrit un journal à Cuba, non. Si dans le monde entier il disent du mal de Cuba, pourquoi faire de même? Nous parlons des problèmes qui peuvent être résolus, oui. Mais nous ne faisons pas le jeu de l’ennemi.

Il n’y a pas d’opposants politiques emprisonnés?
Cela n’existe pas. Il y a des personnes emprisonnées pour avoir posé une bombe ou donné au FBI des informations susceptibles de nuire au pays. Ces personnes, oui, peuvent être emprisonnées…

La figure du Che est-elle encore importante pour les cubains?
Très importante, pour l’Amérique latine et pour beaucoup de gens en Europe aussi. C’est même un héros jusqu’au Japon!

Aujourd’hui, le communisme est souvent décrit négativement. Qu’en pensez-vous?
A Cuba, la révolution a été celle d’un peuple en armes qui lutte, triomphe et décide de changer sa société. Cela a été très profond. En Europe, cela s’est déroulé différemment. Ce n’est cependant pas le système socialiste en soi qui est en cause mais les gens qui le mettent en pratique. Le système socialiste donne aux personnes la capacité de vivre. Il doit garantir l’éducation et la santé gratuites, un habitat et un travail dignes. Peut-être que cela est mal vu par les grands intérêts économiques, les transnationales, ceux qui ont le pouvoir… Mais si les gens simples du peuple avaient l’information adéquate, ils opteraient probablement pour cette vie!

«Nous devons travailler à augmenter les salaires»

L’autre problème sérieux, c’est que les soit-disant «gauches» dans le monde entier se donnent le luxe de se diviser en petits fragments, au lieu de rechercher l’unité. Qu’est-ce que l’objectif commun? Que le peuple vive mieux! Il faut oublier toutes les bêtises entre nous et lutter pour cet objectif! En Europe, l’éducation gratuite est en train de se perdre à grands pas. De même, l’Europe avait une santé publique très développée et elle est en train de la perdre! Pourtant cela a été une conquête des peuples!

La majorité des cubains est née sous le blocus. Quels sont les rêves des jeunes?
Ils rêvent de vivre tranquilles, d’avoir leurs habits, leur objets, et de pouvoir acquérir tout cela avec leur salaire. Si je demande aux jeunes avec qui je travaille «qui d’entre vous souhaite posséder une voiture?» Tout le monde lève la main. Alors je leur dit: «Ne serait-il pas mieux de développer des transports publics urbains, un bus qui passe toute les 5 minutes?». Et on me répond: «Non, je veux avoir ma voiture». Cette mentalité existe, et il faut essayer de la changer, continuer à lutter dans ce sens, démontrer que le développement social collectif est plus important que le développement individuel de chaque personne. Nous devons aussi travailler à pouvoir augmenter les salaires, mais on ne peut pas le faire si on a pas d’économie!

Il faut donc convaincre certains cubains….
Oui, car la propagande capitaliste est très présente! 5 stations de radio et une télévision des Etats-Unis diffusent à Cuba en espagnol parfait. Ils font croire que l’on vit mieux aux Etats-Unis. C’est vrai, tu peux gagner plus en lavant des sols aux Etats-Unis qu’en étant ingénieur à Cuba, mais là-bas, si tu tombes malade, tu meurs, alors qu’à Cuba, tu as accès aux soins gratuitement…. il faut mettre ces choses dans la balance, les avantages et les inconvénients, et décider où tu souhaites rester. Nous essayons de sensibiliser les jeunes à cela. Nous n’y arrivons pas toujours, mais je pense que dans la grande majorité de la jeunesse est fidèle au processus révolutionnaire.

Avec l’ouverture vers les Etats-Unis, ne craignez-vous pas que cet idéal socialiste se perde?

Les problèmes qui nous touchent le plus, ce ne sont pas les États-Unis, c’est par exemple le fait que l’Etat a du laisser 500’000 personnes sans travail à cause de la crise économique mondiale. C’est inadmissible pour une société socialiste. Pour y faire face, l’Etat a encouragé les cubains à travailler à leur propre compte. Mais c’est un cancer, car les gens deviennent individualistes et oublient qu’ils vivent dans une société différente! Le défi pour les prochaines années, c’est de ne pas perdre la conscience sociale et la solidarité au sein du peuple. Dans ce cas précis, on travaille à promouvoir les coopératives. Mais tu ne peux pas forcer les gens à faire une coopérative, il faut leur en montrer les bénéfice. Nous y travaillons.

Croyez-vous à la fin du blocus?
Nous avons évidemment l’espoir que le blocus se termine. Il y a un diction populaire qui dit que «la dernière chose qui se perd est l’espérance». Nous ne perdons donc pas l’espérance qu’un jour le blocus disparaisse.

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