Les Belges ne perdent pas la frite!

Belgique • En Belgique, l'opposition aux mesures antisociales du gouvernement de Charles Michel ne faiblit pas depuis une année. Le 7 octobre dernier 100'000 personnes défilaient ainsi dans les rues de Bruxelles, un mouvement suivi de plusieurs grèves. Reportage (paru dans Solidaire)

Par Jonathan Lefèvre et Nick Dobbelaere, paru dans Solidaire

C’est pour s’opposer aux mesures antisociales annoncées et prises par le gouvernement Michel, telles que la retraite à 67 ans, la limitation dans le temps des allocations d’insertion ou encore les économies dans les services publics et la sécurité sociale, que la société civile belge se mobilise depuis une année. On se souvient des manifestations et grèves monstres qui avaient secoué le pays à la fin 2014. Le 7 octobre dernier, c’est à nouveau 100’000 personnes qui descendaient dans les rues de Bruxelles et le 19, de très nombreuses entreprises et services de la province de Liège étaient en grève. Malgré cette forte mobilisation, le gouvernement fait pourtant la sourde oreille. Nous nous sommes rendus à la manifestation du 7 octobre pour prendre le pouls de la situation.

A la gare de Grammont, nous discutons avec un petit groupe de travailleurs de Grijkoort, un centre de formation et de remise à l’emploi dans la partie Sud de la Flandre-Orientale, qui s’occupe d’entretien, de gestion d’espaces verts… Ils sont une quinzaine à attendre le train pour Bruxelles. L’augmentation de la pression de travail devient insupportable dans leur secteur. «Un job que nous faisions auparavant en deux jours doit désormais être effectué en un seul, pour pouvoir le lendemain être immédiatement mis sur un autre chantier. Et chaque soir, on s’affale dans son fauteuil tellement on est fatigués.» La proposition de la semaine de 30 heures, pas besoin d’en parler beaucoup. Ils sont d’accord.

«C’est quoi cette logique?»
Apparemment, pour certains, l’appel de la FGTB (Fédération générale du travail de Belgique, syndicat de tendance socialiste) à ne pas venir «gâcher» la manifestation par des pétards, fusées et autres objets du même genre est tombé dans l’oreille d’un sourd (c’est le cas de le dire). Sur les escaliers de la gare de Bruxelles-Nord, cela pète et crépite partout dans un bruit assourdissant. Il y a même des fusées de feu d’artifice qui sont lancées. En sortant de la gare, nous sommes tout de suite accueillis par le PTB (parti du travail de Belgique). Depuis un podium improvisé, trois orateurs scandent «Ensemble, nous luttons contre ce gouvernement de l’austérité qui roule pour les intérêts du 1%. Les multinationales ne paient pas ou très peu d’impôts, et on fait payer la facture aux malades, aux pensionnés, aux chômeurs… C’est quoi, cette logique?!?»

«F*** le gouvernement»
«J’attends, et je continue à attendre». Une pancarte évoque les interminables listes d’attente dans les institutions de soins pour les personnes handicapées. L’homme qui la porte travaille justement dans l’une d’elles. «Nous devons nous occuper de gens de plus en plus nombreux et les listes d’attente ne cessent de s’allonger», confie-t-il. Et d’ajouter que «c’est la politique générale qui est mauvaise. Tout est rejeté sur les plus faibles.»

«Faut se bouger»
De très nombreux slogans résument bien le mécontentement. «En colère, volés et trahis, voilà pourquoi nous sommes ici!», «Qui croit encore ces gens?», ou un explicite «F*** ce gouvernement!».Tout à l’avant du cortège, les agriculteurs et les dockers ouvrent la marche. Plus loin derrière, plusieurs associations de femmes sont là également. Une évidence pour elles, comme elles l’ont rappelé: «Les mesures d’austérité précarisent encore plus les femmes.» Et les jeunes sont partout. Les sans-papiers sont également nombreux. Jules, originaire du Cameroun, venu de Liège: «On se soutient entre travailleurs. Le gouvernement s’en prend à nous, les sans-papiers, mais aussi à tous les autres travailleurs. On est là aujourd’hui pour dire que nous ne sommes pas divisés. Et notre combat aujourd’hui se fait pour l’emploi. Car, avec ou sans papiers, s’il n’y a pas d’emploi…»

Parmi les innombrables manifestants, impossible de ne pas voir les drapeaux des mouvements citoyens Hart boven Hard-Tout Autre Chose (HBC-TAC). Leurs pancartes expliquent dans les deux langues pourquoi travailler moins longtemps est une bonne idée: «Pour vivre mieux» ou «Il y a alors du travail pour tout le monde». Sous un drapeau, on voit une banderole de Ons Gedacht, une association qui donne la parole aux pauvres. «Nous constatons que la pauvreté continue à augmenter, et nous voyons de plus en plus de gens qui n’arrivent plus à sen sortir», racontent Famke, Joke et Kim. Ils se retrouvent complètement dans le mécontentement et la colère qui s’exprime haut et clair autour d’eux. La diversité dans le mouvement HBC-TAC est d’ailleurs énorme. A côté des organisations de lutte contre la pauvreté, on voit le mouvement pour la paix, des réfugiés, des artistes, des agriculteurs, des enseignants… Sur le trottoir, nous discutons avec Jozefien. Elle nous explique: «Tous les secteurs comme la culture, l’enseignement, les soins… sont touchés par les choix politiques qui sont faits par ce gouvernement. Comme je travaille près d’ici, durant ma pause de midi je voulais venir en signe de soutien aux manifestants.» Autre rencontre hors des groupes structurés, le chroniqueur/humoriste Guillermo Guiz. «Cela fait longtemps que je ne suis plus venu manifester. Mais là, j’en avais marre de ne faire que dénoncer les mesures du gouvernement de droite sur Facebook. Aujourd’hui, je suis venu pour qu’il y ait deux pieds et un corps en plus. Je ne venais plus manifester car j’avais l’impression de pisser dans un violon. Mais là, toutes ces mesures sont indigestes. Faut se bouger!»

Continuer la pression

La manifestation se termine à la gare du Midi, où les présidents des syndicats prennent la parole. «Nous ne pouvons pas nous laisser gagner par la peur, souligne Rudy De Leeuw, de la FGTB. Ce ne sont pas les réfugiés qui sont le plus grand danger pour notre sécurité sociale, mais le gouvernement Michel, qui ne nous a rien apporté d’autre que de la misère. Ce gouvernement fait une priorité de ménager les riches!»«Nous continuerons notre pression jusqu’à ce qu’elle ne soit plus soutenable. Notre résistance se poursuivra aussi longtemps que nécessaire», a déclaré Marc Leemans, de la CSC.