Sur la ligne de front de l’exil syrien

Migration • A Idoméni, petit village grec près de la frontière macédonienne, entre 4000 et 10'000 réfugiés passent chaque jour. Ils demeurent quelques heures dans un camp de fortune où Médecins du Monde a établi un poste de santé. Témoignage suite à une visite sur place.

"Il est impressionnant de voir ces gens, dont la moitié sont des femmes et des enfants", relève le président de Médecins du Monde Suisse. ©MdM Suisse

Depuis début septembre 2015, l’ONG Médecins du Monde (MDM) Suisse tient un poste de santé à Idomeni, petit village grec à la frontière macédonienne, en collaboration avec ses homologues grec et anglais. En juin dernier, les contacts grecs de l’organisation l’avaient déjà alertés sur la situation préoccupante de cette zone où les migrants traversent la frontière par les champs et sont régulièrement refoulés vers la Grèce par l’armée macédonienne. Souvent, ils marchent depuis Thessalonique, le long de la voie ferrée sur quelque 70 kilomètres et tentent de monter dans un train dès leur arrivée en Macédoine. Tout s’est accéléré dès la fin août, quand le flux des migrants cherchant un refuge en Europe s’est amplifié et la Macédoine a ouvert ses frontières. Au début, Médecins du Monde était seul à donner des consultations médicales, sous une tente de fortune.

«Il ne fallait pas bouger pour arriver à bon port»

Ce sont entre 4’000 et 10’000 demandeurs d’asile qui transitent tous les jours depuis lors, demeurant quelques heures dans un camp de fortune où MDM travaille maintenant de concert avec le Haut commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR), Médecins sans Frontières, la Croix Rouge grecque et d’autres petites organisations, comme celle qui a installé un Wifi gratuit et des prises pour recharger les smartphones. Les réfugiés parviennent à Idomeni le plus souvent en car, par vagues, en fonction des ferries organisés par le gouvernement grec pour amener les réfugiés depuis les petites îles grecques proches de la côte turque, comme Kos ou Lesbos. Ils arrivent à toute heure, si bien que la vie du camp a dû s’organiser 24 heures sur 24. Il y a même un plus grand flux de gens pendant la nuit. A la descente du car, les réfugiés sont organisés par groupes d’environ 50 (en fonction du passage régulé par les autorités macédoniennes). Pendant leur séjour au camp, ils reçoivent un peu de nourriture et ont accès à de l’eau potable, à des douches et à des toilettes, ainsi qu’à des soins médicaux. Ils disposent enfin d’un toit, indispensable pour la nuit, contre la pluie…et bientôt contre le froid.

Il est impressionnant de voir ces gens dont la moitié sont des femmes et des enfants, surtout quand on sait d’où ils viennent et le parcours qui les attend encore avant d’arriver dans un pays européen où, on le sait, ils ne seront malheureusement pas vraiment les bienvenus. Il y a des personnes âgées, par exemple un couple de près de 80 ans, qui fuient seules les bombes de Syrie. Ou encore cette jeune femme qui me montre son petit enfant de 33 jours, juste pour se rassurer qu’il va bien. Elle vient de Damas avec son mari, mais a dû accoucher au «village», parce qu’aucun hôpital de la ville n’est à l’abri d’une bombe, et elle a fui juste après, à un moment de la vie pourtant où en principe une femme se concentre sur son bébé et ne pense pas à voyager. Elle a à peine 20 ans, de la classe moyenne, et parle bien l’anglais. Elle a traversé la mer, son bébé dans les bras. Au cours de ce voyage, «il ne fallait pas bouger si l’on voulait arriver à bon port», témoigne-t-elle.

Pas le temps de dormir
MDM seule fait près de 150 consultations par jour, essentiellement pour des refroidissements et des menues blessures, mais aussi parfois pour des situations plus sérieuses, comme cet enfant voyageant seul avec un problème rénal aigu grave, qu’il a fallu adresser à un hôpital grec, ou encore cette jeune femme qui allait accoucher et que l’on a réussi à faire passer rapidement en Macédoine, où elle a pu être prise en charge par la Croix Rouge locale. Il y a aussi ceux qui ont une maladie chronique et qui nous demandent de quoi pouvoir poursuivre leur traitement car ils ont souvent tout perdu au moment de la traversée de la mer, ou leurs médicaments ont été rendus inutilisable par l’humidité. Les gens nous disent leur reconnaissance, et combien ils se sentent bien accueillis en Grèce, avec un contraste tellement important avec ce qu’ils ont vécu avant….(et peut-être aussi après…mais c’est une autre histoire). Ils sont dignes, simples, décidés à continuer coûte que coûte leur voyage. Souvent très fatigués, ils refusent des médications qui pourraient les rendre somnolents car ils n’en ont pas le temps….il faut continuer à avancer. Et c’est vraiment touchant de voir ces grappes d’enfants qui suivent leurs parents, juste parce que c’est ainsi, dans un calme parfois pesant.

Quand on se trouve là, à Idoméni, au milieu de nulle part, avec cette foule qui ne fait que passer, on se convainc que nous vivons une crise humanitaire terrible et que c’est notre devoir d’humanité que d’accueillir ces réfugiés. Toute autre attitude est indigne.

La peur disparaît au contact des réfugiés
Le Haut Commissaire du HCR Antonio Guterres affirmait récemment que la situation suscitait chez les gens soit de la compassion soit de la peur. C’est vrai, mais la peur disparaît au contact direct de ces demandeurs d’asile. Et un million de réfugiés, fuyant une guerre inique qui a déjà fait trop de morts, peut bien trouver une place en Europe, qui sortirait grandie si elle le voulait bien, si nous le voulions bien…

Ce qui déstabilisera notre quotidien ces prochaines années, ce ne sont pas les réfugiés. C’est plutôt l’augmentation sans contrôle démocratique de nos primes maladies, nos logements de plus en plus chers, des prestations sociales que nos (mal)élus voudront raboter – comme la révision de nos retraites – et les problèmes énergétiques et de surexploitation de notre terre. Voilà ce que l’on devra affronter, mais pas les réfugiés.