La Palestine à l’épreuve des balles

Territoires occupés • «Il semble que les soldats israéliens ont reçu l'ordre de tirer pour tuer», confie un habitant d'Hébron, où les morts de Palestiniens se multiplient ces dernières semaines. Malgré la peur d'une exécution arbitraire, ces derniers continuent toutefois à résister par le témoignage et la solidarité.

Dans le centre-ville palestinien d'Hébron, proche de la zone israélienne bouclée, on trouve des moyens de continuer à vivre. Ici, des vendeurs de falafels qui se protègent des gaz lacrymogènes à l'aide de masques. ©Lazar Simeonov
Le checkpoint qui sépare la partie palestinienne de la ville de celle sous contrôle israélien. Seuls les habitants du côté israélien peuvent désormais le traverser.©Marcos Knoblauch
Le checkpoint qui sépare la partie palestinienne de la ville de celle sous contrôle israélien. Seuls les habitants du côté israélien peuvent désormais le traverser.©Marcos Knoblauch

La peur, c’est le sentiment qui domine parmi les habitants palestiniens de la ville d’Hébron. Depuis plusieurs semaines, la cité est en proie à une violence sans précédent depuis la seconde intifada. Les émeutes sont quotidiennes et, selon l’agence de presse palestinienne Maannews, au moins 17 jeunes palestiniens auraient été abattus dans le courant du mois d’octobre. «Il semble que les soldats israéliens ont reçu l’ordre de tirer pour tuer», explique Mohamed (prénom d’emprunt), habitant de la cité et fin connaisseur de la région, qui souhaite garder l’anonymat. «Dans le quartier contrôlé par l’armée israélienne, l’atmosphère de crainte parmi la population palestinienne est telle que les gens s’auto-imposent un couvre-feu et ne laissent plus leurs enfants jouer dans les rues», ajoute-t-il. «Les jeunes hommes craignent de sortir dans la rue de peur pour leur vie!» confie une employée internationale de l’ONU, en visite sur place. «Je ne me rends plus dans cette zone du centre-ville pour des raisons de sécurité. Ils peuvent facilement te tuer en affirmant que tu étais en train de tenter une attaque au couteau!», poursuit Mohamed, qui précise que les habitants tentent de «faire profil bas».

Du côté israélien, on prétend que les Palestiniens abattus tentaient d’attaquer des Israéliens, mais cette version est contredite dans plusieurs cas par des témoins locaux. «Certains ont commis des attaques au couteau, c’est vrai, mais d’autres ne présentaient aucune menace. Dans tous les cas, une armée entraînée telle que Tsahal doit être formée à tirer pour immobiliser et non pour tuer», s’alarme Mohamed, avant de transmettre une vidéo qui montre un jeune palestinien abattu alors qu’il était déjà au sol depuis plusieurs secondes, immobilisé par un premier tir. D’autres témoignages vidéos attestent de pratiques d’intimidation et de harcèlement telles que le fait de demander aux jeunes Palestiniens de retirer leurs habits en pleine rue.

La vidéo plutôt que le couteau

La vidéo, plus que le couteau ou même les pierres, c’est l’outil de résistance utilisé dans tous les territoires occupés de longue date, et en particulier à Hébron. En majorité sous autorité palestinienne, une petite portion de la ville, où 500 colons parmi les plus extrêmes résident au milieu de la population palestinienne, se trouve sous contrôle de Tsahal. Dans ce quartier sous haute tension, c’est notamment Youth against settlements (YAS), une organisation palestinienne qui se revendique non-violente, qui effectue ce travail de documentation vidéo de la vie sous occupation.

Sur la page Facebook de l’organisation, depuis quelques semaines, on voit des avertissements à la population de possibles attaques de colons, des photos d’enfants qui jouent avec des «douilles» de gaz lacrymogènes, et surtout l’annonce régulière de jeunes palestiniens abattus. «Pourquoi? Israël, cesse de tuer la jeunesse palestinienne!», commente un internaute. Issa Amro, coordinateur de l’organisation, dénonce comme Mohamed ce qu’il nomme des « exécutions extrajudiciaires », ainsi que l’escalade de la violence qu’elles provoquent.

Des voix qui ne sont pas isolées. Le 27 octobre dernier, Philipp Luter, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International déclarait ainsi dans un communiqué basé sur la documentation de plusieurs cas que «de nombreux éléments attestent qu’à mesure que les tensions se sont exacerbées, les forces israéliennes ont dans certains cas semblé avoir jeté le règlement aux orties et recouru à des mesures extrêmes et illégales. Elles paraissent de plus en plus enclines à employer une force meurtrière contre quiconque est perçu comme une menace, sans s’assurer que cette menace soit réelle».

Les observateurs internationaux visés

Sur le terrain, au cœur d’Hébron, l’inquiétude est d’autant plus grande que les observateurs internationaux habituellement nombreux dans ce haut lieu de tension, deviennent, selon notre témoin, eux aussi des cibles, ce qui les pousse à quitter les lieux. «Une observatrice a été arrêtée alors qu’elle documentait une exécution extrajudiciaire et interdite de séjour en ville durant 15 jours. D’autres ont été pris en photos par des colons et signalés comme indésirables par le biais d’affiches placardées dans les rues, si bien qu’ils ont cessé de se rendre dans le quartier le plus tendu», explique Mohamed.

Celui-ci a d’ailleurs été entièrement bouclé depuis quelques jours. Seuls les habitants palestiniens sont autorisés à y entrer et en sortir et n’y circulent qu’en respectant certaines restrictions. Pour Mohamed, «l’armée profite de la situation pour pousser les Palestiniens hors de la zone». Dès 2007, les ONG israéliennes ACRI et B’TSELEM documentaient et dénonçaient un phénomène d’expulsion forcée des Palestiniens du centre-ville d’Hébron. Selon notre témoin, qui confie d’ailleurs que certains de ses amis songent à quitter les lieux au vu des derniers épisodes de violence, celui-ci ne ferait que s’accentuer.

Parmi les victimes, Hashem Azzeh, figure de la résistance pacifique

Malgré cette situation, YAS continue à documenter les événements, tout en tentant de rassurer les familles qui habitent dans les environs, «terrorisées», selon les termes de l’un des membres de l’organisation. Un travail qui devient toutefois de plus en plus difficile. Il y a quelques jours, le porte-parole de l’organisation était arrêté. Le 21 octobre, c’est Hashem Azzeh, activiste Palestinien de 54 ans connu de nombreux militants et journalistes et figure de la résistance pacifique a l’occupation, résidant à quelques mètres à peine du centre de YAS, qui succombait: fragile de santé, il décédait suite à un malaise cardiaque, l’ambulance qui avait été appelée n’ayant pas pu atteindre sa maison en raison des checkpoints israéliens. Tentant de quitter la zone a pied, il est décédé après avoir inhalé des gaz lacrymogènes tirés sur une manifestation voisine. L’agence Palestinienne Maannews rapporte que « selon un médecin, Hashem avait des problèmes cardiovasculaires, mais c’est l’inhalation de gaz lacrymogènes qui l’a tué ». Même s’il est difficile de confirmer la cause exacte de sa mort, celle-ci illustre les conséquences possibles des restrictions que subissent les Palestiniens de cette partie de la ville.

Hashem était connu justement parce qu’il dénonçait ce type de discriminations. Il vivait lui-même à quelques mètres d’une colonie, où il amenait régulièrement des délégations internationales en leur expliquant les attaques qu’il avait subies lors de la récolte des olives, la procédure de plusieurs années menée auprès d’une cour israélienne pour accéder à sa maison par la porte d’entrée, celle-ci se situant trop près de la colonie, sur une route interdite aux Palestiniens, ou encore …l’impossibilité pour les ambulances d’atteindre le quartier. Pourtant, il ne pouvait se résoudre à quitter les lieux. Cela aurait signifié laisser la place aux colons. Montrer, témoigner, c’est aussi la résistance qu’il avait choisie.

«Utiliser la violence, c’est ce qu’Israël veut que nous fassions»

Une forme de protestation non-violente à laquelle Issa Amro et Mohamed croient également, malgré tout: «Utiliser la violence, c’est exactement ce qu’Israël veut que nous fassions. Si les Palestiniens, et en particulier le Fatah, optaient pour la résistance armée, cela donnerait plus de légitimité à l’Etat hébreu!», commente Mohamed. Sa vision de l’avenir demeure toutefois très noire. «Si cela continue comme ça avec des meurtres, des émeutes, et aucun horizon politique, le risque que cela dégénère augmente. La frustration et le désespoir de la jeunesse sont grands».

Quant à la communauté internationale, fonde-t-il un quelconque espoir en elle? «Nous jouons cette carte depuis longtemps. Nous appelons à une présence internationale. Cela dit, il y a tellement de vidéos qui montrent comment nous sommes traités, mais cela ne change rien! En ce sens, nous n’attendons pas beaucoup de la communauté internationale. Personne n’y croit vraiment!». Pour Issa Amro, les choses sont claires, la seule solution réside dans «la fin de l’occupation, et rendre Israël responsable pour les crimes commis». Force est de constater que cette perspective semble bien lointaine.