L’austérité, une valeur à décoter

Genève • Près de 200 personnes ont participé aux ateliers, débats et meeting de la journée anti-austérité de la gauche combative genevoise, le 7 novembre dernier.

Ca commence fort. «Aux 19ème et 20ème siècles, l’Occident a dominé le monde, tout en érigeant protectionnisme et contrôle des frontières pour protéger le monde capitaliste. Aujourd’hui, le néocolonialisme impose un nouveau monopole des colonisateurs sur les ressources du Sud, en permettant une liberté de mouvement des marchandises et du capital, tout en construisant des murs aux migrants», dénonce Mohammad Jadallah, requérant d’asile soudanais, membre fondateur du mouvement Stop Bunkers lancé par des migrants logés dans des abris PC, tout en critiquant la situation de pauvreté induite par ces pratiques pour les populations du Sud. Il cite l’économiste marxiste anglais John Smith, auteur du livre, L’impérialisme au 21ème siècle, qui analyse la mondialisation néolibérale – celle de la domination des multinationales du centre sur les périphéries du Sud – comme le nouveau stade impérialiste du développement capitaliste, caractérisé par l’exploitation de la force de travail du Sud par le Nord capitaliste. Face à cette situation, le militant en appelle à une ouverture des frontières et à la fin du racisme et de la xénophobie lors de la journée contre l’austérité qui s’est tenue à la Maison des associations le 7 novembre à l’appel de la gauche combative genevoise. Outre ce débat sur l’asservissement du Sud aux intérêts du Nord, «où la Suisse continue à être une place off-shore pour les capitaux mafieux ou ceux produits par la privatisation de biens publics», comme le définit Laurent Tettamanti du Mouvement vers la révolution citoyenne ou des ateliers sur la collusion de la justice genevoise avec la droite d’affaires, les participants de la journée ont pu circuler entre de stands d’informations sur d’autres formes d’économie, sur la situation en Colombie ou sur la mobilisation des syndicats genevois, qui viennent de sortir un manifeste contre l’austérité. Mais la partie festive n’a pas été oubliée. Dans son spectacle Oum Pakyie (Je ne suis pas mort en dialecte dioula du Burkina Faso), la compagnie Puck mitonne une diatribe au vitriol sur l’esclavagisme et le colonialisme, tout mettant en scène le fameux discours de Dakar, polémique et rabaissant, de Nicolas Sarkozy sur les Africains et celui sur la dénonciation du fardeau de la dette par Thomas Sankara. «On nous demande aujourd’hui d’être complices de la recherche d’un équilibre, équilibre en faveur des tenants du pouvoir financier, équilibre au détriment de nos masses populaires. Non, nous ne pouvons pas être complices, non, nous ne pouvons pas accompagner ceux qui sucent le sang de nos peuples et qui vivent de la sueur de nos peuples, nous ne pouvons pas les accompagner dans leur démarche assassine», disait en 1987 feu le président burkinabe à Addis Abeba. Des paroles qui entrent en résonance avec la situation que traverse la Grèce. Des pistes de résistance existent aussi ailleurs. «La renationalisation de secteurs stratégiques ou la socialisation prudente de Rafael Correa en Equateur a permis à ce pays de sortir de l’ornière après les programmes d’ajustements structurels des années 80-90», a relevé un participant.

«Décoloniser nos cerveaux»
La soirée s’est achevée avec un meeting, qui a multiplié les points de vue. Ingénieur de formation, le franco-suisse Bernard Degas a montré les liens entre crise économique et création de monnaie scripturale par les banques privées. «Avec ce système, ce n’est pas l’intérêt général qui prime, mais le rendement financier interne», souligne ce Géo Trouvetou de l’économie, qui en appelle à un contrôle citoyen sur la monnaie pour en finir avec la «fausse monnaie bancaire». Ancien président du syndicat Comedia et co-auteur du Manifeste pour un nouveau contrat social, Christian Tirefort, revendique la nécessité «de ne plus nourrir le capital, responsable de l’austérité» et «de décoloniser et de lessiver nos cerveaux du discours économique dominant, tout en revalorisant le travail qui produit du bien commun». «Le travail produit plus qu’il y a 30 ans et il est à la base de la création de nos infrastructures et services publics», rappelle-t-il tout en défendant aussi le revenu universel inconditionnel, dans le sillage du sociologue français Bernard Friot. Représentant de l’Organisation socialiste libertaire (OSL) et du syndicat de base SUD, Aristides Pedraza a expliqué la nouvelle forme de régulation sociale et de domination de la société qui émanait de la politique d’endettement actuelle. Celle-ci conduira à une concentration plus forte du pouvoir et à casser définitivement des modèles sociaux possibles. Estimant que la gauche comme mouvement social de progrès est en crise et «même menacée de mort», il en a appelé à la repenser et à la remobiliser «afin qu’elle puisse redevenir un mouvement de changement social vers l’émancipation». Pour cela, elle doit être communiste, révolutionnaire, libertaire, écologiste, car se sachant dans un monde fini, ouverte et radicalement démocratique selon le militant anarchiste. Autant de propositions dont doivent s’emparer les mouvements sociaux pour mettre à bas la tyrannie de l’austérité.