Pour l’opéra, il n’y a ni âge, ni frontières

Musique • Sur la scène lausannoise, l’Enfant et les sortilèges de Ravel sur un texte de Colette enchante petits, grands et jeunes migrants

Après la création, la saison dernière, du Petit prince de Lévinas, l’opéra de Lausanne proposait cet automne un autre spectacle «jeune public», L’ enfant et les sortilèges. Eric Vigié, le directeur de la scène lausannoise est en effet convaincu que si on veut s’assurer le public de demain c’est en l’invitant aujourd’hui. Et les œuvres choisies enchantent les plus jeunes et les moins jeunes. Qui, en effet, n’a pas eu envie un jour de sécher ses devoirs scolaires et n’a pas piqué une rage vengeresse sur tout ce qu’il avait sous la main? Et qui n’a rêvé de voir s’animer l’arbre, la théière, l’horloge, le monde des objets autour de lui?

Les enfants se pressaient nombreux aux représentations, ce qui n’a rien d’exceptionnel. Ce qui l’était plus, ce fut la visite organisée pour une vingtaine d’adolescents, originaires pour la plupart d’Erythrée, de Somalie et d’Afghanistan, hébergés dans des foyers pour mineurs non accompagnés de l’EVAM, l’établissement vaudois d’accueil des réfugiés. L’idée venait de la Jeune Chambre Internationale*. Isabelle Ravussin, préposée au contact Jeune public de l’Opéra, leur a fait découvrir les coulisses, la scène, les loges. Une interprète a traduit en tigrinia, une autre en anglais, l’histoire de l’enfant récalcitrant finalement réconcilié; certains passages du texte avaient certainement des résonances fortes auprès de ces enfants blessés par la vie et seuls ici sans maman. Ce mercredi, ils étaient invités à voir le spectacle.

Un conte surréaliste et ambigu

Ravel et Colette ont réussi une «fantaisie lyrique» dont les sortilèges font vivre les meubles et parler les animaux et qui séduit tant dans sa version originale de concert, que vient de diriger à la tête de l’OSR Charles Dutoit, que dans l’adaptation de Didier Puntos pour un quatuor flûte, violoncelle et piano à quatre mains, et double quatuor vocal, déjà donnée à Lausanne en 2010. Ce divertissement révélateur de tout un monde inconscient fantastique, cruel, parodique, poétique par moment et soudain attendri laisse apparaître dans la mise en scène de Benjamin Knobli, les décors de Jean-Marie Abplanalp et les costumes de Sébastien Guenot des personnages ensorcelants, surréalistes qui hallucinent, fascinent, amusent ou inquiètent. Jusqu’à ce moment de tendresse où l’enfant, lorsqu’il voit l’écureuil blessé, panse sa plaie. L’enfant est pardonné, le songe est fini, non sans ambiguïté dans cet appel final à maman.

Les musiciens, José Daniel Castellon, Pascal Michel, Jean-Philippe Clerc et Didier Puntos, recréaient les atmosphères délicates ou violentes de la partition originale. Les solistes surent jouer le jeu multiple du monde de l’enfant, se faisant horloge détraquée, chats qui miaulent, princesse désespérée, arithmétique cauchemardesque. Mashal Arman incarnait avec talent l’enfant effrayé, étonné, désespéré, réconcilié.

*JCI est une fédération mondiale qui veut «offrir des opportunités de développement aux jeunes… pour établir la paix dans le monde.»