«Les syndicats doivent renouer avec les catégories non syndiquées de la population»

Analyse • «Le partenariat social est l’une des causes principales de la passivité des travailleurs. Il bannit de leurs têtes le droit constitutionnel de faire grève» , estime la syndicaliste Derya Dursun, qui invite les syndicats à oser davantage incarner des utopies.

Certains grands combats ont rendu le monde d’aujourd’hui meilleur. L’histoire nous a montré différentes façons de combattre. L’un de ces moyens est la grève. Ce droit constitutionnel n’est cependant de loin pas respecté et ne commence à être connu de la population suisse que ces dernières années. Le peuple suisse craint la grève! Cette crainte est non seulement cultivée par les institutions en place, qui vantent continuellement les mérites du partenariat social, mais découle aussi du sentiment de fatalité et de la croyance de l’impossibilité de faire autrement. Le peuple n’arrive plus à avancer des revendications qui iraient à l’encontre du système établi.

La faute n’est cependant pas uniquement à mettre sur le dos de la population et des travailleurs. Les partis politiques dits de gauche et les organisations syndicales jouent un rôle néfaste dans le paysage de résistance en Suisse. Petit à petit, et avec la pérennisation du système en place, on a fini par avoir toute une population qui perçoit la perte d’un emploi comme la fin de tout. Le chômage divise incontestablement les travailleurs et détruit la solidarité, pour finir par légitimer l’existence des agences de placement qui font du business sur la force de travail. Il faut attaquer les règles en place, ces règles ne fonctionnent tout simplement pas.

A force de réformer constamment les modes de résistance, on est peu à peu réduit à ne pouvoir jouer qu’avec les instruments bourgeois – institutionnalisés et autorisés grâce à ces mêmes organisations. Il ne reste dorénavant plus rien à réformer. Il faut maintenant penser à l’avenir et au futur que nous voulons laisser à nos enfants.

Penser l’existence humaine en dehors du travail
Les syndicats peuvent jouer un rôle primordial dans la résistance contre le capitalisme et contre ses valeurs intégrées dans les esprits. Ils doivent oser incarner des utopies parce qu’elles font avancer le monde. Ils peuvent, avec un peu d’audace et du courage, fédérer les consciences et raisonner en termes d’humanité et d’émancipation. Il est absolument nécessaire de re-collectiviser les luttes.

Je me pose toutefois de sérieuses questions sur le modèle de société imaginé par les syndicats en Suisse. Est-ce qu’ils considèrent réellement le travail comme aliénation de l’homme par excellence? Parce que, rappelons-le, le travail reste fondamentalement l’instrument de manipulation des gens par le système néolibéral. Est-ce qu’ils osent penser l’existence humaine et les droits découlant de cette existence sur autres valeurs que celles basées sur le travail? Nous savons que le système capitaliste est fondé sur la puissance de la finance qui est capable de subordonner les Etats et déterminer les destins collectifs en fonction de ces critères. Est-ce qu’ils osent se baser sur d’autres critères que des critères économiques? On peut sérieusement avoir des doutes à ce sujet.

Un partenariat social à sens unique

J’aime le sens du mot «participer». Cela suppose s’impliquer, prendre part, se positionner, choisir son camp, s’exprimer, se mouiller parfois. Actuellement, il existe en Suisse des milliers de travailleurs qui se mouillent dans nos rues. Nous soutenons et continuerons à soutenir la lutte des travailleurs de la construction et de la fonction publique. La convergence entre ces luttes est à saluer, face à l’arrogance et l’agressivité du patronat suisse. Ce dernier fait de la propagande mensongère sur les lieux de travail. Il est conscient de sa capacité de division et menace de licenciement en cas de participation au débrayage. Il faut critiquer ce partenariat social à sens unique, qui est l’une des causes principales de la passivité des travailleurs. Il pousse, chez eux, à l’asservissement et à la fatalité, et banni de leurs têtes un droit pourtant constitutionnel, celui de faire la grève.

Un positionnement politique syndical est nécessaire pour mener à bien les combats. Il faut que chaque syndicat se positionne sur des thématiques citoyennes comme l’éducation, la santé, l’école ou la culture. Les syndicats doivent renouer les liens avec les catégories non syndiquées de la population aussi. A Genève, le 11 novembre dernier, nous étions tous réunis pour manifester contre l’affaiblissement de l’ Etat social et pour la responsabilisation du patronat suisse de la construction. Nous devons continuer à être solidaires avec tous les grévistes et à être actifs au syndicat comme au parti. Le pire étant à venir, nous devons commencer à construire une base solide de résistance.