Budget 2016, l’éternel retour du même refrain

Neuchâtel • Le Grand Conseil a adopté la semaine dernière un budget d’austérité. Au vu des obligations légales du canton, des demandes urgentes de rallonge budgétaire sont cependant plus que vraisemblables au cours de l’année à venir.

La procédure du budget 2016 du canton de Neuchâtel a suivi une fois de plus une dramaturgie désormais bien rodée. Avant la session et le premier jour de celle-ci, les champions des grands partis bombent le torse, jouent du biceps, se donnent du courage à force d’amendements et de déclarations de lignes rouges, pour finir, en fin de session, par trouver une majorité PLR-PS et clore l’année avec la satisfaction d’avoir bien bataillé.

La session de décembre n’a donc pas failli à la tradition. Juste fallait-il, par rapport aux années précédentes, un brin de surenchère pour maintenir le frisson. C’est ce qui a été fait au sein de la commission des finances, la droite, forte de sa majorité, refusant dans un premier temps l’entrée en matière, le PS répliquant par la menace d’un rapport minoritaire.

Un budget d’austérité qui a passé la rampe pour l’essentiel

Le projet présenté par le Conseil d’Etat à majorité socialiste était clairement un budget d’austérité. Cependant, pour ne pas devoir procéder à des coupes par trop excessives, l’exécutif a sciemment surestimé – ou «pris des risques budgétaires calculés», comme il préfère le dire – certaines recettes, ce qui a fait bondir la droite et a suscité toute une série d’amendements et de nouvelles propositions de coupes, notamment dans les dépenses de l’Université et de l’Hôpital neuchâtelois (HNe). Le Parti socialiste, qui avait en de réitérées reprises annoncé qu’il ne voterait pas le budget si un accord avec la fonction publique n’était pas trouvé, y allait à son tour de ses propositions de corrections. Le groupe PopVertsSolidarités (PVS) voulait quant à lui démontrer qu’une autre politique était possible. Sans se faire d’illusions sur les chances de succès de la démarche, il a refusé la plupart des coupes dans le social, la santé et l’enseignement, exigé que les conditions salariales normales de la fonction publique soient rétablies, et proposé de compenser ces dépenses supplémentaires par la suspension de la dernière tranche de baisse de l’impôt sur le bénéfice des entreprises de 6% à 5%. Un ensemble de propositions qui aboutissait à un budget bénéficiaire.

Le résultat est connu: la plupart des coupes prévues par le Conseil d’Etat ont passé la rampe, les économies supplémentaires voulues par la droite dans les domaines de l’Université et d’HNe ont pu être évitées, la fonction publique continuera à voir les mécanismes salariaux normaux suspendus, l’augmentation de sa masse salariale maintenue à 0,5% et ses effectifs bloqués; et les amendements du groupe PVS ont tous été balayés.

Baisse de l’imposition des entreprises mais pas des personnes physiques
Les leçons de ce budget sont multiples. D’abord, la fonction publique neuchâteloise continue à faire les frais des mauvaises finances cantonales. Depuis 1993, donc en 23 ans, les mécanismes salariaux prévus par la loi n’ont été intégralement respectés que trois fois! Toutes les autres années, les employé-s de l’Etat ont subi des coupes salariales sous une forme ou une autre. Aucun employeur privé ne pourrait se permettre cela, mais l’Etat de Neuchâtel si, et sans états d’âme. Et,cela devient une habitude, le groupe socialiste, qui aime s’ériger en protecteur de la fonction publique, finit par la lâcher à chaque fois. Cette-fois-ci, il s’est contenté d’un engagement du Conseil d’Etat de ne mettre en réserve que 0,8% au lieu des 1,2% d’inflation négative. La fonction publique appréciera.

Ensuite, la baisse de l’imposition des entreprises est une priorité pour la majorité politique de ce canton. Pas question de la suspendre; manifestement, trop d’engagements occultes sont en jeu. Et cela, même s’il faut mettre en question la baisse de l’imposition des personnes physiques, qui, elle, a été partiellement reportée et redimensionnée, même si l’Etat doit couper dans des prestations d’intérêt général et se désengager dans des domaines pourtant essentiels. Trois exemples sont frappants et tous trois concernent principalement la jeunesse:

Les institutions spécialisées du canton, notamment la Fondation Les Perce-Neige, qui accompagne et accueille des personnes handicapées, sont au bord de l’asphyxie, voire de la faillite tout court. Tout simplement parce que l’Etat ne cesse de leur imposer de nouvelles charges tout en diminuant année après année ses subventions. Vu les obligations légales du canton, des demandes urgentes de rallonge budgétaire sont plus que vraisemblables au cours de l’année à venir. Deuxième exemple: l’abandon du service cantonal des sports, domaine dorénavant transféré aux communes avec toutes les inégalités de traitement que cela suppose.

Dernier exemple, particulièrement parlant: l’abandon du subventionnement cantonal du Bibliobus. Cette institution, jusqu’alors cofinancée par l’Etat et les communes, assure non seulement un service de prêt ambulant sur l’ensemble du territoire cantonal, il alimente aussi les bibliothèques des petites communes. Elément important: 75% de ses lecteurs ont moins de 15 ans, de nombreuses classes du canton y ont recours.

Or, au moment même où l’on découvre les chiffres alarmants de l’illettrisme dans ce canton, notamment au sortir de l’école obligatoire, où Neuchâtel bat tous les records, au moment même où le gouvernement et le Grand Conseil unanimes déclarent vouloir lutter contre cette plaie sociale, nos autorités se dégagent d’un outil aussi important et en reportent la responsabilité aux seules communes. Face aux 20’000 signatures d’une pétition populaire en faveur du Bibliobus, les élus ont bien dû réagir, mais ils l’ont fait par le biais d’un faux-fuyant: l’institution reçoit un sursis d’une année grâce à un versement exceptionnel du fond des communes. La droite et le PS s’en satisfont, mais le groupe PVS, lui, a annoncé le lancement probable d’un référendum.

Enfin, le groupe PVS en est convaincu et en a fait la démonstration budgétaire: une autre politique est possible. Manifestement, la majorité des élus de ce canton, qu’ils soient de droite ou socialistes, n’y sont pas encore enclins. Le budget 2016 a finalement été adopté par 59 voix contre 29 et 21 abstentions. L’on sent cependant que les échéances électorales approchent: alors que l’an dernier, à l’occasion d’un budget 2015 autrement plus sévère encore, les élus socialistes les plus téméraires avaient juste osé s’abstenir, ils sont aujourd’hui près du tiers à l’avoir refusé.