La nouvelle poupée Barbie

La chronique féministe • Mattel est une société américaine de jouets et jeux fondée en 1945 par Harold Matson et Elliot Handler, d’où le nom de l’entreprise: Mat+Ell = Mattel. C’est Ruth, la femme d’Elliot, qui créa Barbie (diminutif de leur fille Barbara) en 1959, en copiant abusivement les caractéristiques de Bild Lilli, un personnage de bande dessinée de Reinhard Beutin, dont l’entreprise allemande Rolf Hausser s’inspira pour fabriquer une poupée mannequin en 1955. A cause de la concurrence de la Barbie, ce dernier fit faillite en 1964.

La poupée mannequin a une silhouette immédiatement reconnaissable: des jambes interminables, une taille fine, une poitrine opulente, des cheveux longs et un visage adulte, impeccablement maquillé et souriant. Au départ, la Barbie est blonde (Les hommes préfèrent les blondes, est le titre d’un film de 1953 dans lequel joue Marilyn Monroe), aux traits européens. Puis sa couleur de cheveux varie et son type ethnique se diversifie dès 1967, davantage à partir de 1980, si bien qu’aujourd’hui, il existe une Barbie pour à peu près tous les groupes ethniques du monde.

Barbie est à la fois ancrée dans son époque et star intemporelle, synonyme de beauté et séduction. Son succès s’explique par ses multiples facettes: elle projette l’enfant dans les multiples rôles de la vie, tout en incarnant le rêve, s’adapte à ses jeux, de la manipulation aux mises en scènes imaginaires, de la découverte du prince charmant à l’exploration du monde des adultes.

Un milliard de poupées ont été vendues depuis sa création, 4,6 millions par an en France, 92% des Américaines ont possédé une Barbie entre 3 et 12 ans. Barbie a presque touché 4 générations de femmes et reste la poupée incontournable pour les fillettes d’aujourd’hui, parfois au désespoir de leur mère. J’ai eu un fils et n’ai donc pas connu ces affres, mais mes copines féministes étaient déchirées entre leurs convictions et le désir irrépressible de leur fille. Elles finissaient par céder. En effet, Barbie représentait tout ce que nous détestions: gravure de mode impeccablement maquillée et coiffée, disposant d’une garde-robe de princesse, qu’il fallait acheter après la poupée, naturellement, une silhouette filiforme qui ne correspond à aucune femme de chair. Il serait intéressant d’étudier l’effet que ces poupées «idéalisées» ont pu avoir sur la maigreur affichée des mannequins et l’anorexie de jeunes filles.

Mais Barbie reflète aussi les modes et les courants sociologiques depuis ses débuts: jeune fille modèle en 1960, «peace and love» dans les années 70, femme moderne qui allie travail et famille dans les années 80, cosmopolite et militante dans les années 90. Elle incarne la femme active, moderne et citoyenne. Contrairement à l’image figée qu’on peut en avoir, Barbie a exercé au total plus de 90 professions différentes. Au début, elle était mannequin, danseuse, infirmière, hôtesse de l’air, métiers «féminins» par excellence. Mais en 1963, elle acquiert un diplôme universitaire, puis, au cours des ans, embrasse des professions plus prestigieuses: chirurgienne, femme d’affaires, jockey, chanteuse de rock, grande reporter, professeure, docteure, ambassadrice de l’UNICEF, officier de l’armée, pilote, paléontologue, astronaute (elle a marché sur la lune). Elle devient même présidente des Etats-Unis à l’orée du 21ème siècle!

En 2016, Mattel va plus loin dans sa démarche de diversification, en lançant trois nouvelles silhouettes de Barbie: Tall (grande et longiligne), Petite (menue) et Curvy (arrondie), une Barbie bien en chair, presque dodue, éloignée de la Barbie d’origine. Cette évolution est due à la perte de parts de marché (baisse de 16% en 2014, après une chute de 6% l’année précédente). Ces nouvelles formes entraînent le renouvellement de la garde-robe, Curvy ne pouvant pas enfiler les vêtements de la Barbie traditionnelle, ce qui stimule les ventes. La marque vise aussi à se rapprocher de la réalité de la population féminine américaine et de vedettes, ce qui pourrait changer la façon dont les femmes se perçoivent.

Polémiques et controverses

Considérée comme un symbole de la décadence de l’Occident, la poupée Barbie est interdite en Arabie saoudite.

Pour les psychiatres, Barbie est un fantasme d’adultes mais pas de petites filles.

En 1992, Mattel commercialise la Teen Talk Barbie, qui peut émettre quelques phrases «comme les ados». «Math class is tough!» («Les math, c’est dur!») attire la réprobation de la AAUW (Association Américaine des Universitaires Féminines). Mattel retire rapidement la phrase, mais pas «Allons faire les courses après l’école».

En octobre 2013, les associations «Peuples solidaires» et «China Labor Watch» lancent une campagne pour dénoncer les conditions de travail des ouvrières et ouvriers chinois qui fabriquent les poupées Barbie.

La chaîne de grande distribution Wall-Mart a créé l’indignation en vendant une Barbie noire deux fois moins cher que la même Barbie blanche, dans un magasin en Lousiane. Un porte-parole a expliqué qu’il s’agissait d’une décision purement commerciale, les noires se vendant moins bien que les blanches. Il est intéressant de constater que les enfants des minorités raciales continuent de trouver les Barbie blanches plus jolies…

Même si la marque fabrique des poupées plus conformes à la réalité, Barbie hante depuis un demi-siècle l’inconscient des filles, qui souhaitent lui ressembler. Barbie s’inscrit dans la lignée des images dont on bombarde les femmes: photos retouchées aux fesses parfaites, femmes objets conjuguées à toutes les sauces, offertes au désir des hommes. Et même si on lui a attribué les tenues de métiers émancipés, Barbie reste un modèle de séduction pour qui l’apparence compte plus que l’être.

Les luttes féministes ont encore bien du pain sur la planche…