Trois parcours, trois discriminations

la chronique syndicale • «Il faut lutter pour des retraites justes et solidaires, et pour une allocation universelle qui permettrait de sortir du système d’acquisition des droits lié à l’exercice d’une activité lucrative», estime Derya Dursun, syndicaliste.

Mélanie est sous pression pour trouver un emploi, mais si on lui propose un travail demain, elle devra le refuser car elle n’a pas de solution de garde pour son enfant. Une difficulté rencontrée par de nombreuses femmes.

«La femme est asservie et elle le restera tant qu’elle ne sera pas indépendante économiquement», avait dit Clara Zetkin, militante féministe allemande du début du 20ème siècle à l’origine de la journée du 8 mars. Effectivement et indéniablement, l’époque correspondait à une oppression des femmes par leur mari prolétaire. Les choses ont changé depuis. Les femmes ont réussi, par des luttes acharnées, à conquérir presque le même statut qu’un homme, celui d’une aliénation relativement totale. Clara Zetkin était consciente d’un problème fondamental encore d’actualité: libérée de sa dépendance économique vis-à-vis de l’homme, la femme qui travaille est passée sous la domination économique capitaliste souvent avec son mari, compagnon ou seule. Par ailleurs, les conditions de travail en général se sont de plus en plus dégradées. Il est certain que dans de très rares cas seulement, un individu demeurera au même poste pendant 40 ans, qu’il soit femme ou homme. Cette insécurité de l’emploi reste le premier obstacle à l’épanouissement de l’homme et surtout de la femme. Pour illustrer cette évolution et en tant que syndicaliste, je voudrais partager avec les lecteurs de Gauchebdo, les trois réalités économiques de trois femmes.

Rocio, précarité du travail intérimaire

Rocio est venue en Suisse avec sa fille de 14 ans, à cause de la crise économique en Espagne. Son mari, titulaire d’un permis L, travaille sur les chantiers depuis plus de 4 ans, placé par une agence de placement. Depuis 2 ans, cette famille vit avec un seul salaire équivalent à 4300 francs. Rocio gère les finances de la famille. Quand Rocio décroche un travail de quelques semaines, à 16,80 francs de l’heure, dans une usine d’emballage du chocolat au Locle, elle vient m’exprimer son bonheur et partager un café au syndicat. L’engagement des intérimaires est devenu monnaie courante, surtout pour les travailleurs migrants. Il est rare d’avoir un salaire moyen digne de ce nom sur 12 mois. L’homme et la femme sont exploités par les mêmes règles, propres au marché libéral. Rocio et son mari José sont employés dans les secteurs économiques qui utilisent une main-d’œuvre non-qualifiée et mal payée tels que la restauration, la construction ou l’agriculture. Rocio et José ne parlent presque pas le français. Ils ont voulu suivre les cours que le syndicat organise les samedis matin, mais Rocio n’a pas réussi à continuer, étant appelée par l’usine quelques heures les samedis matin ou contrainte de partir faire les courses en France (c’est beaucoup moins cher!) Ni l’un ni l’autre n’ont de qualifications. José a presque de la chance d’être un homme, il peut travailler sur les chantiers. Leur fils, Francisco, qui a maintenant 16 ans, cherche une place d’apprentissage pour devenir électricien. Il veut travailler sur les chantiers comme son père. Je pense très fort à Pierre Bourdieu!

Ursula, une retraite indigne

Ursula vient d’être renvoyée d’une entreprise d’horlogerie. Elle aura 64 ans en décembre de cette année. Elle travaillait dans la même usine depuis 27 ans et ira s’inscrire au chômage à partir du 1er mai, après ses deux mois de délai de congé! Elle panique à l’idée de devoir chercher un emploi. Ursula se sent rejetée comme une éponge sale. Le manque d’éthique dans les entreprises saute aux yeux. C’est la crise et tout le monde y passera! Les licenciements collectifs en augmentation dans le canton de Neuchâtel créent une concurrence malsaine entre travailleurs et la crise économique justifie tous les comportements au nom de la rentabilité. Ursula est perdue. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive et compte sur le syndicat pour la soutenir. Elle ne touchera pas de rente AVS complète, car elle n’a pas travaillé quand sa fille est née. Elle n’aura pas non plus de rente LPP parce qu’elle est licenciée! Elle va gérer son petit capital elle-même et quand elle en aura épuisé la totalité, elle recevra très probablement des prestations complémentaires pour survivre jusqu’à sa mort! Ces difficultés concernent aussi bien les hommes que les femmes, mais le rôle de maternité, attribué naturellement à la femme, la pénalisera jusqu’à la fin de ses jours.

Mélanie, le cercle vicieux de la solution de garde

L’Etat social actuel est basé sur une logique de dépendance des femmes vis-à-vis de leur mari, si elles en ont un. Mélanie est maman seule avec une petite fille. Elle essaie de s’en sortir du mieux qu’elle peut et perçoit une aide sociale de la commune de Neuchâtel depuis bientôt 4 ans. La priorité étant donné aux femmes qui travaillent en ce qui concerne les places dans les crèches, Mélanie n’a pas pu avoir une place de garde pour sa fille. Elle est sous pression pour trouver un emploi, mais si on lui propose un travail demain, elle devra le refuser car elle n’a pas de garde pour son enfant. Etant hors du marché de travail depuis longtemps, elle aura de toute manière beaucoup de difficultés à y retourner. Les femmes sont les premières victimes de discrimination en ce qui concerne l’intégration économique et culturelle. Mélanie peinera à occuper un travail stable qui lui procure un revenu permettant des conditions de vie décente. Elle est mise à l’écart. L’ensemble des tentatives menées par des femmes pour leur reconnaissance, leur autodétermination, leur participation et le respect de leurs droits doit viser deux objectifs: la libération ou la liberté de décision de chaque femme en tant qu’individu, et surtout la transformation fondamentale de la société et de son ordre des genres. Il faut sortir de revendications communautaristes et faire des propositions qui concernent toute la société. Il faut notamment lutter pour des retraites justes et solidaires, et pour une allocation universelle qui permettrait de sortir du système d’acquisition des droits liés à l’exercice d’une activité lucrative.