Ariodante, l’apogée de l‘opéra baroque

opéra • Haendel, on l‘oublie parfois, fut d’abord compositeur d’opéras avant de passer à l’oratorio. Une de ses œuvres les plus abouties, un drame humain de la passion et de la jalousie, est présentée à Lausanne.

riodante devra batailler ferme pour obtenir la main de Ginevra, fille du roi d’Ecosse.

Né en 1685 (la même année que Bach) à Halle en Allemagne, Georg Friedrich Haendel se révèle très tôt comme un surdoué de la musique, au grand dam de son père qui aurait voulu en faire un juriste. Organiste et claveciniste virtuose, après s’être formé en Saxe, il voyage quatre ans en Italie pour s’installer en 1710 à Londres, où il mène une vie de compositeur-chef d’orchestre-impresario. Il y dirigera l’Académie Royale de musique et se fait naturaliser anglais. Ce n’est que lorsque le succès de l‘opera seria à l’italienne commence à décliner qu’il se tourne résolument vers le genre oratorio; le plus célèbre est le Messie avec son fameux Allelujah qui enthousiasma tellement le roi que celui-ci se leva, suivi par toute l’assemblée, une tradition qui s’est maintenue en Angleterre. En fait, Haendel a composé plus d’opéras (42) que d’oratorios (32)!

Un opera seria renouvelé

S’il se conforme au genre à la mode, Haendel le fera pourtant évoluer vers une richesse sonore et une progression dramatique qui dépasseront la simple succession habituelle d’arias da capo et de récitatifs. Il donne au chant et à l’orchestre un pouvoir d’émotion et une intensité inégalées, au-delà de la virtuosité époustouflante de la ligne vocale, digne du bel canto baroque à l’italienne, et de sa maîtrise de l’écriture instrumentale, sans doute héritée de ses origines allemandes. Il utilise des ensembles, en particulier des duetti, s’efforce de caractériser ses personnages, prolonge des récitatifs accompagnés par des ariosos à la Monteverdi qui touchent profondément, ajoute des sinfonia d’orchestre. L’orchestre qui se fait l’écho des sentiments exprimés par le chant acquiert une présence et une coloration de timbres nouvelles; il traite les instruments à vent en solistes et lie subtilement les sonorités propres à chacun à certains affects. Par ailleurs, dans cette œuvre, contrairement à d’autres il est vrai, Haendel ne recourt ni au merveilleux, ni à des héros mythologiques pour capter l’attention d’un public dont il faut bien dire qu’il venait d’ordinaire à l’opéra non pas pour écouter l’œuvre de bout en bout, mais pour entendre, entre deux mondanités, tel air virtuose ou tel chanteur célèbre. Haendel nous confronte ici à un drame humain, à une tragédie où s’opposent des passions élémentaires, indépendamment du statut social ou politique des protagonistes. La fin, comme il se doit, respecte le principe d’un dénouement heureux; les amoureux se retrouveront après trahison, complot et sentiment bafoué.

Un drame humain

Ariodante tire son sujet de l’Orlando furioso de l’Arioste. Ce drama per musica en trois actes, une histoire de jalousie provoquée par un amant repoussé, implique en fait deux couples d’amoureux. Le chevalier Ariodante aime Ginevra, la fille du roi d’Ecosse. Le duc d’Albany Polinesso, éconduit, ourdit un complot auquel se prête la dame de compagnie de Ginevra, Dalinda, elle-même dupe du traître, alors que le frère de Ariodante, Lurcanio, est amoureux d’elle. Ariodante, qui se croit trompé par Ginevra, veut se suicider; Ginevra devient folle de chagrin jusqu’à ce que se révèle la vérité que Polinesso, blessé en duel, avoue en mourant. Et tout se termine dans l’union des deux couples et la félicité retrouvée! Créé en 1735 à Covent Garden, l’opéra comportait dans chaque acte des passages dansés destinés à une Française célèbre, Marie Sallé, et à sa troupe; ils furent parfois supprimés lors de certaines représentations, car Haendel n’hésitait pas à adapter ses partitions aux interprètes et aux salles dont il disposait.

Deux contre-ténors pour chanter Ariodante et Polinesso

Si Ariodante marque l’apogée du genre et qu’il est sans conteste un des meilleurs opéras de Haendel alors au sommet de son art dans ce domaine, le peu de succès rencontré à l’époque laisse présager que l’opéra baroque est arrivé à une impasse, que ses conventions ne correspondent plus à l’attente du public. Haendel va donc y renoncer pour ouvrir de nouvelles voies dans l’oratorio. Il appartenait aux règles du genre de privilégier les voix aiguës, les rôles-titres étant confiés de préférence à des castrats. Si bien que lorsqu’on fit revivre les opéras baroques, il fallut donner les rôles d’homme à des femmes, ce qui du reste se fait encore souvent (ce fut le cas pour le Ariodante joué à Aix il y a deux ans) à moins de trouver des contre-ténors rompus à cette technique vocale remise à l’honneur au 20ème s., vu le retour en grâce de la musique baroque. Et c’est précisément l’exceptionnel offert par l’Opéra de Lausanne: Ariodante sera chanté par l’Ukrainien Yuriy Mynenko et Polinesso par le Français Christophe Dumaux, tous deux contre-ténors, aux côtés de Marina Rebeka (Ginevra), de Clara Meloni (Dalinda), Johannes Weisser (le roi d’Ecosse), Juan Sancho (Lurciano) et Jérémie Schütz (Odoardo). L’Orchestre de Chambre de Lausanne sera dirigé par Diego Fasolis.

Une mise en scène «qui sollicite la perception de spectateur»

Reste le problème de la mise en scène. Pas question d’essayer de reproduire ce qui se faisait au 18ème siècle. Les ingénieurs, décorateurs, artificiers, machinistes, italiens pour la plupart, rivalisaient d’ingéniosité pour créer des effets fantastiques, parfois rocambolesques. Stefano Poda qui se charge, avec l’assistance de Paolo Gianni Cei, de la mise en scène, des décors, des costumes, des lumières et de la chorégraphie de cette nouvelle production de l’Opéra de Lausanne, se refuse à une quelconque reconstitution ou à une transposition moderne réaliste. Il veut «créer des images dans lesquelles le spectateur ne reconnaisse pas simplement une histoire actualisée, comme il peut en voir dans son téléviseur, mais autant de symboles et d’incitations à vivre, par la musique, l’histoire de sa propre existence. Mon travail, dit-il, est une recherche sur la dimension interne de l’œuvre.» Ce ne sera pas le moindre intérêt de ces représentations, à en juger des photos reçues. La première a lieu le vendredi 15 avril à 20h.

Opéra de Lausanne, Ariodante, du 15 au 24 avril