Briser le silence du négoce

contre-sommet • Du 11 au 13 avril prochain, les plus grands noms du trading de matières premières se réuniront au Beau-Rivage Palace de Lausanne. Dans le cadre d’un contre-sommet, la société civile entend dénoncer les conséquences de l’exploitation des matières premières dans les pays du Sud.

Parmi les intervenants phares du «Financial Times commodities global summit» cette année, il y aura Marco Dunand, de la société de négoce de pétrole Mercuria, établie à Genève, Matt Jansen, de COFCO Agri, géant céréalier chinois ou Jeremy Veir, de Trafigura, spécialisée dans le transport de matières premières et également établie en Suisse, tous trois directeurs généraux de leurs groupes respectifs. La réunion de ces géants de l’exploitation et du négoce de matières premières pour la 5ème année consécutive au Beau-Rivage Palace de Lausanne n’est cependant pas du goût de tous. Comme les années précédentes, un contre-sommet organisé par le collectif contre la spéculation sur les matières premières entend dénoncer les conséquences néfastes en termes sociaux et environnementaux de leur activité sur les pays du Sud.

Un quart des transactions mondiales passent par le Suisse

Le rôle de la Suisse dans ce commerce est particulièrement pointé du doigt. «Si ce sommet se tient à Lausanne, c’est que la Suisse continue d’affirmer son rôle de refuge fiscal pour toute une série d’acteurs de ce commerce mondial. Pas mal des firmes participant à la rencontre du Beau-Rivage ont soit leur siège, soit une importante représentation sur les bords du Léman, et ce n’est pas uniquement pour la beauté du paysage!», a rappelé Catherine Morand, de l’ONG Swissaid en conférence de presse lundi, soulignant qu’environ un quart des transactions mondiales sur les matières premières passent par la Confédération et que 35% du pétrole, 35% des céréales et 50% du café sont négociés dans le seul arc lémanique.

Cette année, les opposants au sommet ont choisi pour slogan «pour les migrants des barrières, pour les traders pas de frontières». Outre les déplacements de populations provoqués par la nécessité pour les entreprises extractives d’accéder aux terrains d’exploitation, ils pointent du doigt l’absence d’emplois dignes de ce nom pour les populations concernées, qui les pousse à partir chercher ailleurs un avenir meilleur. «Un des contacts de Swissaid au Niger, très engagé sur ces questions, souligne régulièrement que le manque de perspectives pour les jeunes de son pays les contraint à émigrer ou rejoindre les rangs de mouvements extrémistes», a souligné Catherine Morand, avant d’ajouter: «Nous portons, ici, une part de responsabilité dans cette réalité».

Niger, Tchad et Brésil sous la loupe

Au cours du forum, des conférences et ateliers se pencheront sur un certain nombre de cas particuliers, parmi lesquels, justement, celui du Niger. Deuxième producteur mondial d’uranium, le pays fourni en partie les centrales nucléaires françaises via l’entreprise AREVA. Riche en or et pétrole, il n’en figure pas moins en queue de peloton des pays les moins développés, tout comme son voisin, le Tchad, important producteur de pétrole. «Les paysans sont chassés de leurs terres pour faire place à l’extraction et ne reçoivent en échange que des compensations dérisoires», dénonce Catherine Morand, rappelant que l’entreprise Glencore, basée en Suisse, gère l’essentiel de la production tchadienne. Le journaliste Tchadien Frank Kodbaye sera présent pour évoquer la thématique et le rôle de lanceurs d’alerte des populations locales.

Un autre atelier se penchera sur la situation du Brésil et en particulier du géant minier Vale. «L’année dernière, nous avions manifesté devant le siège de l’entreprise à St-Prex pour dénoncer les dégâts sociaux et environnementaux qu’elle provoque. Depuis, une catastrophe de très grande ampleur a détruit une région entière du Brésil», a rappelé Françoise Pitteloud, membre du collectif et ancienne conseillère nationale. Début novembre, deux barrages gérés par VALE et l’entreprise anglo-australienne BHP- Billiton qui servaient à retenir des déchets miniers cédaient, provoquant une coulée de boue toxique sur plus de 500 kilomètres. Léon Volet, coordinateur du collectif contre la spéculation sur les matières premières, sera présent pour évoquer la caravane organisée par les populations locales pour dénoncer la situation.

De plus en plus de conscience dans la société civile

Parmi les intervenants, on pourra également compter sur la présence de Daniel Schweizer, qui présentera son nouveau film «Trading paradise» sur le rôle de plaque tournante de la Suisse dans le négoce des matières premières. Bernard Bertossa, ancien procureur du canton de Genève et ancien juge pénal fédéral évoquera quant à lui la lutte contre la corruption internationale et les moyens légaux disponibles en Suisse. «On ne peut pas laisser ce sommet se tenir sans que la société civile ne se manifeste, même si nos moyens sont limités», a déclaré Catherine Morand.

Selon les organisateurs, les 40% de suffrages récoltés par l’initiative contre la spéculation sur les denrées alimentaires ou le lancement de l’initiative pour des multinationales responsables montrent que les activités des grandes entreprises établies en Suisse laisse de moins en moins indifférent. «Quelque chose semble se dessiner du côté de la société civile pour mettre nos autorités sous pression», a déclaré Françoise Pitteloud, avant de résumer la volonté des opposants: «La Suisse est silence, bénéfice, négoce. Nous souhaitons briser ce silence».

Conférences et ateliers le 9 avril dès 10h au centre socioculturel Pôle Sud, Jean-Jacques Mercier 3, à Lausanne. Manifestation à 16h30 place Saint-François