Quel avenir pour la presse alternative?

Presse • A l’invitation du quotidien «Le Courrier», plusieurs journaux alternatifs, dont «Gauchebdo», se sont retrouvés à Lausanne pour débattre de l’avenir de la presse indépendante, dans un secteur ou règne la concentration.

Philippe Bach, du quotidien «Le Courrier», entouré par Camille Roseau, de la «Wochenzeitung» et Thierry Barrigue, de «Vigousse». ©Jean-Patrick Di Silvestr

Comment permettre à la presse alternative, celle qui n’est pas soutenue par de grands groupes de presse ou de l’industrie, de survivre, alors que les coûts de production augmentent et que le lectorat vieillit? Telle est la quadrature du cercle qu’ont essayé de résoudre des représentants de Vigousse, Bastamag (site d’information français en ligne), la Wochenzeitung (Woz), Gauchebdo, Pages de Gauche et Moins!, à l’invitation du Courrier, qui a organisé un débat sur le thème à Lausanne le samedi 9 avril.

 Un fonds public pour la presse en ligne

Un premier tour de table a permis de pointer les spécificités des titres. Du fait qu’il ne travaille qu’avec des rédacteurs bénévoles, le journal décroissant Moins! ne connaît pas trop de problèmes de trésorerie. Il en va de même du mensuel Pages de gauche, journal issu de l’aile gauche du PS et qui défend un «socialisme démocratique». Avec environ 1000 abonnés, il se maintient à flot et peut rémunérer un mini-poste de secrétaire de rédaction mais cherche encore de nouveaux abonnés. Pour sa part, le journal satirique Vigousse, basé à Lausanne et parti d’une liste de 3’500 souscripteurs en 2008, parvient, lui aussi, à équilibrer ses comptes.

Gros vaisseau par rapport aux autres titres présents, la Woz, qui a un chiffre d’affaires de 4 millions et 68’000 lecteurs, parvient à équilibrer son budget grâce à l’engagement de son lectorat assez aisé financièrement, qui n’hésite pas à faire des dons financiers, en sus de son abonnement. Le Courrier suit ce modèle et compte aussi sur l’attachement solidaire de ses lecteurs sous forme de dons et sur des rentrées publicitaires à hauteur de 15% de son budget. Modèle de «pure player» (soit uniquement publié sur le net), le journal en ligne français Bastamag compte sur trois sources de financement pour boucler son budget. Un tiers provient des dons des lecteurs, un autre tiers de différentes fondations pour la presse alternative et le restant d’un fonds public pour la presse en ligne, qui n’existe pas en Suisse et que les éditeurs helvètes refusent.

A noter que ce fonds français de 20 millions d’euros par an a été constitué suite aux plaintes des éditeurs contre le portail d’agrégation d’articles de presse de Google. Dénonçant un manque à gagner sur leur rémunération des contenus, les éditeurs ont réussi à faire cracher au bassinet le géant américain. Bastamag, qui entend «redonner du pouvoir d’agir aux lecteurs» enregistre 1 million de visites sur le site par mois et fait travailler 7 journalistes. Ce modèle virtuel permet bien évidemment d’économiser sur des frais d’impression et d’envoi aux abonnés, une charge qui pèse lourdement dans le budget de Gauchebdo (1/3 du budget) et des autres journaux romands présents.

 Un portail commun?

Passé le constat de la nécessité que des titres différents existent pour faire entendre d’autres voix comme cela a été le cas dans le canton de Vaud sur la réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), les participants ont gambergé sur des pistes de nouveaux financements et de développement de leur visibilité. «A la Woz, nous mettons en ligne quelques articles, mais six mois après publication, tout est libre», a expliqué Camille Roseau, responsable commerciale de la publication zurichoise. Quel modèle économique pour le Net? Si Bastamag offre tous ses articles en libre consultation, contrairement à certains de ses confrères payants comme Médiapart, lancé en 2008 par le journaliste Edwy Plenel, Moins!, Pages de gauche, Vigousse, le Courrier et Gauchebdo, qui tous doivent vendre des éditions papier, ont opté pour mettre en ligne une sélection d’articles. Par ce biais, ils cherchent à inciter les internautes à s’abonner au format papier.

Pour marcher, la gratuité en ligne doit, de plus, se conjuguer avec des ressources publicitaires virtuelles importantes, soit un modèle difficilement accessible à ces journaux alternatifs. Pour Yvan du Roy, journaliste et co-fondateur de Bastamag, une des pistes pour accroître sa visibilité réside dans les synergies. Avec son portail des médias libres, le journal offre un accès direct à l’ensemble de la presse indépendante et aux articles publiés par les médias de «transformation» sociale, écologique et démocratique provenant d’une soixantaine de sources. A quand le même portail au niveau romand? s’est demandé Helena de Freitas, présidente de la société d’édition de Gauchebdo. Ces titres se sont déjà retrouvés dans le cadre d’une coordination pour lutter ensemble contre la hausse des tarifs postaux. Dernière idée développée par la Woz: la création de balades explicatives en ville, qui permettent de resserrer les liens entre lecteurs et rédaction