Coups de cœur à Soleure, de la suissitude à l’universalité

Festival • La 52ème édition des Journées du film s’est tenue comme chaque année à Soleure. Parmi les 179 films projetés, retour sur deux pépites qui ont particulièrement marqué notre chroniqueur.

Descendre à Soleure sous le stratus, par une froide journée d’hiver, depuis les ensoleillées montagnes jurassiennes, pourrait ressembler un acte de folie, ou pire, de docte niaiserie. Mais le charme de la ville baroque opère immédiatement et l’on est transporté hors du temps. Des sombres silhouettes en manteaux sombres traversent seuls ou en petits groupes la blancheur neigeuse des rues et des ponts sur l’Aar. Il apparaît comme évident que ce soit dans cet écrin que se tiennent les journées du film; cet agréable mélange de bonhomie suisse allemande, d’empreinte royale française et de réminiscence de la Renaissance italienne font que le syncrétisme suisse tient sa place.

Im Bann des Föhns
Les lieux du festival, disséminés en vieille-ville, pour un cinéphile sont à classer en deux catégories: les lieux confortables et inconfortables. C’est dans un lieu, très beau, mais ô combien inconfortable (KonzertSaal), qu’il m’a été donné de voir Im Bann des Föhns , de Theo Stich. Ode à la suissitude, ce vrai documentaire (ce n’est ni un reportage, ni un portrait, ni une émission TV) nous plonge au cœur du souffle chaud qui brûle les vallées, les monts et aussi les gens de cette Suisse primitive qui va du lac des 4 cantons au Tessin. «Der Föhn kommt den einen recht, den andert bekommt er schlecht» (Le foehn arrange les uns et dérange les autres).

Plusieurs fils narratifs parallèles nous racontent un foehn aux interprétations et ressentis multiples. Tantôt celui de cet homme qui préfère le foehn à sa femme en se laissant porter en planeur sur des centaines de kilomètres. Ou la famille paysanne, effrayée lorsqu’il se lève. Ou encore un météorologue complètement à l’ouest qui mesure sa vitesse à chaque col à la force du fémur. Des scientifiques qui l’étudient depuis 200 ans sans forcément y comprendre beaucoup plus à ce vent chaud et tempétueux qui vient du sud… le tout parsemé d’extraits de vieux films où le foehn est le personnage principal. C’est dans l’un d’eux que le Maharishi Mahesh Yogi va jusqu’à chercher à supprimer le Föhn. Tout simplement.

Rio Corgo
C’est en revanche dans un vrai cinéma (Kino Canva Blue), lieu confortable par définition, qu’était projeté Rio Corgo, de Maya Kosa et Sergio Da Costa. Classé dans les documentaires, alors que c’est un vrai poème. Coup de cœur absolu articulé autour d’une vieille âme errante et vagabonde, Silva, señor espagnol avec son baluchon, déambulant dans une vallée de Tràs-Os-Montes, arrive à un petit village en forme de poulpe, Relvas. C’est la région fétiche des cinéastes poètes portugais, un paysage aride et bucolique, où il faut gratter la terre pour en tirer sa pitance, avec solitude et soliloque comme seule compagnie, brindilles et bouts de bois comme seul réchaud.

Ce village existe-t-il vraiment? Silva est-il, comme dans le célèbre roman éponyme de Juan Rulfo, un Pedro Páramo venu d’entre les morts ou un Juan Preciado à la recherche d’une vérité? Et d’où sort-elle, la pute voleuse, est-elle venue nous hanter avec un souvenir sorti d’un film de Bresson? Est-ce que tout ce que nous voyons ne serait pas uniquement sorti de l’imagination fébrile, pubère et fertile de Ana, une jeune adolescente, dont la présence sert de pivot à l’histoire? Le poème finit deux fois et l’on ricane avec la mort.

Soleure! Quelles belles surprises nous réserves-tu encore? Rendez-vous est pris les 26-27 et 28 mai pour la 39e édition des Journées Littéraires.

Im Bann des Föhns, Theo Stich, 2016, dist. Frenetic Films Zürich, sortie en salles en Suisse allemande en avril, pas de dates pour la Suisse romande et le Tessin.

Rio Corgo, Maya Kosa & Sergio Da Costa, prod Close Up Films Genève, dist. Sister Distribution Genève, sortie prévue en salles en Suisse romande le 3 mai.