Sans limite, plus c’est haut, plus c’est beau!

Exposition • Rocs et glaces photographiés de 1840 à nos jours racontent la passion des sommets, ainsi que l’invention parallèle de l’alpinisme et de sa représentation. A découvrir au Musée lausannois de l’Elysée.

Glacier du Tour, prise de vue près du refuge Albert 1er. (copyright: Aurore-Bagarry)

Souvenirs pour les uns, rêves pour les autres, les 300 photos exposées au Musée de l’Elysée, à Lausanne, témoignent tant de la découverte des Alpes que de l’invention de la photo. Sans limite (titre à écrire sans s à limite ce qui surprend!) fascine, interroge, interpelle aussi, mais à mon avis trop peu face à la dégradation de certains paysages, à la fonte des glaciers… La verticalité, le panorama ou encore la matière constituent autant de points de vue d’une présentation qui joue entre art et science, sublime et banal.

L’inconscient de la vue
Des premiers daguerréotypes qui nécessitaient le transport d’un matériel extrêmement lourd (ce pouvait être 250 kg!), donc toute une expédition, jusqu’au numérique actuel, en passant par la stéréoscopie que pratiquait encore mon grand-père, la photo de montagne révèle ce que l’œil, parce qu’il est sélectif, ne voit pas. En effet c’est «l’inconscient de la vue» comme le définit Pierre-Henry Frangne dans une étude sur les photographies des frères Bisson, exposées précisément au Musée de l’Elysée, qui apparaît: ces fissures, ces brisures, ces rugosités, ces brillances, d’une précision qui étonne et qu’on n’avait pas remarqués.

Mais il y a aussi ce côté instantané, définitivement fixé, avec ses ombres, ses lumières, ses flous, ses scintillances, qui immortalise un moment tout en ouvrant l’infini du rêve. C’est à la fois «un carré, durable, portatif, quelque chose désormais et pour jamais à notre disposition, le moment capté» (Paul Claudel dans L’Oeil qui écoute) et toute une histoire, celle d’un lieu, d’un sommet dont on découvre qu’ils changent au fil des ans, aujourd’hui plus vite que jadis vu le réchauffement climatique, ou l’aventure, parfois périlleuse, de ceux qui se sont risqués «là où la terre rejoint le ciel», pour reprendre l’expression de Daniel Girardin, conservateur en chef du Musée de l’Elysée.

Là où la terre rejoint le ciel
L’invention de la photographie, en particulier de montagne, va de pair avec celle des mots tourisme et alpinisme; ce n’est pas un hasard puisqu’on va se servir de certains paysages et des icônes célèbres que sont le Cervin, Le Mont-Blanc, entre autres, pour attirer vacanciers et sportifs. Mais l’exposition ne développe guère (ne serait-ce la photo de ces bâches qui recouvrent les restes du Glacier du Rhône!) la dimension politique que peut avoir la photo de montagne lorsqu’elle dénonce les problèmes climatiques et environnementaux de plus en plus inquiétants.

En revanche, elle saisit la frontalité, le face-à-face des grandes parois, dont celle de la Südlenz sur l’affiche, l’immensité des vues horizontales prises d’un sommet, d’abord composées de plusieurs photos accolées, puis avec un grand angle, la verticalité des aiguilles et des arêtes vertigineuses, les vues plongeantes d’un ballon ou d’un avion, la structure chaotique des séracs, la zébrure étonnante d’une roche ou la surface striée de la neige. Certaines photos sont des documents, précis, descriptifs, d’autres des évocations poétiques pour dire la beauté, la solitude, la violence, le grandiose. Quelques-unes jouent sur une couleur inattendue, la plupart sont en noir et blanc, évitant la banalité des photos couleurs avec leur ciel trop bleu- celles dont usent et abusent certaines publicités; les plus anciennes sont en tirage sépia.

Il y avait foule ce premier samedi du mois (jour d’entrée libre), en particulier des jeunes gens et des jeunes filles que le mauvais temps avaient empêché de céder à leur envie de montagne et qui évoquaient des courses faites ou à faire; mais s’y pressaient aussi des visiteurs plus âgés qui se souvenaient parfois avec nostalgie des beautés partagées, et puis des passionnés de photographie que les prises de vue et les procédés anciens intéressaient. L’exposition est à voir jusqu’au 30 avril 2017.

Pour accompagner l’exposition, un très bel ouvrage éponyme a été publié par le Musée de l’Elysée en coédition avec Les Editions Noir sur Blanc. Il reproduit un grand nombre des photos exposées, après une introduction succincte «entre enchantement et désenchantement», au demeurant intéressante, de Daniel Girardin dont c’est la dernière exposition, et un entretien avec le photographe professionnel et alpiniste Maurice Schobinger.

Lausanne, Musées de l’Elysée, 18, av. de l’Elysée, jusqu’au 30 avril, du mardi au dimanche de 11h à 18h.

Sans limite, Photographies de montagne, publié par le Musée de l’Elysée en coédition avec Les Editions Noir sur Blanc. Sous la direction de Daniel Girardin / Janvier 2017 / 21 x 27,2 cm, relié, 250 pages, version française et anglaise.