La RIE repartie pour un tour

Suisse • Après le refus massif par les votants de la RIE III, la gauche défend une nécessaire abolition des statuts spéciaux, tout en ménageant les finances des collectivités publiques et les citoyens.

«Victoire. Nous sommes très heureux et soulagés du refus de la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III).» Tout comme le reste de la gauche, les syndicats, de nombreuses villes comme Lausanne ou Genève ou une minorité d’élus bourgeois, le Parti suisse du Travail-POP ne cachait pas sa satisfaction au soir du 12 février. Forts d’un succès à près de 60% des votants, les opposants à la réforme fiscale néolibérale attendent dorénavant des concessions substantielles de la part de la droite, des milieux économiques réunis sous l’égide d’economiesuisse et d’Ueli Maurer sur le dossier.

«Le parlement doit maintenant élaborer un nouveau projet, dans lequel les intérêts de la population doivent être mis au centre du débat et non les intérêts de profits des entreprises multinationales. Les finances publiques doivent être renforcées avec une politique fiscale capable de générer plus de recettes, surtout au niveau des cantons et des communes», estime ainsi le PST-POP. Chef du groupe parlementaire PS, Roger Nordmann abonde dans ce sens. «Notre ligne directrice au parlement consistera à définitivement abolir les statuts spéciaux, à renoncer aux astuces fiscales de la RIE III et à éviter un appauvrissement des collectivités publiques. Certains élus du centre-droit ont déjà signalé leur envie de discuter dans ce sens», précise le conseiller national vaudois, qui rappelle que le nouveau paquet fiscal qui sortira du parlement sera lui aussi soumis à la menace d’un référendum, donnant ainsi à la gauche une arme pour peser dans les débats.

Retour de l’impôt sur les gains en capitaux?
A quoi peut-on s’attendre pour cette nouvelle mouture de la réforme? Certains cadeaux fiscaux controversés devraient normalement disparaître. Il en va ainsi de la déduction des intérêts notionnels (NID) qui permettait de réduire le bénéfice imposable des entreprises fortement capitalisées. Cette astuce fiscale qui enlevait 220 millions de francs au ménage de la Confédération, devrait définitivement être enterrée. Quid des super-déductions à hauteur de 150% pour les activités de recherches et développement (R&D) ou de celles liée aux revenus de la propriété intellectuelle (patent box), qui permettaient un dégrèvement jusqu’à 90%? «Ces nouvelles déductions prévues par le projet RIE III doivent aussi être supprimées», tranche SolidaritéS dans un communiqué.

Une option qui n’est évidemment pas du goût de la droite. Economistes au Crédit Suisse, Jan Schüpbach et Claude Maurer estiment que les cantons pourraient introduire la patent box de manière autonome, comme le fait déjà Nidwald depuis 2011 avec sa «Lizenz. Membre de la commission économie et redevances du Conseil national, Guillaume Barazzone (PDC), voudrait seulement limiter les réductions ou restreindre le champ d’application des patent box». Pour l’heure, le PSS ne ferme pas complètement la porte à certains de ces allégements très ciblés, mais voudrait augmenter l’imposition sur les dividendes et réinstaurer un impôt sur les gains en capitaux. «Comme dans le cas de la réforme vaudoise, il convient de prendre en compte tant au niveau cantonal que national de tous les bénéfices des entreprises dans le cadre du calcul de la base imposable», justifie Roger Nordmann. «Prendre pleinement en compte les dividendes dans ce revenu imposable serait donc juste et contribuerait très substantiellement à réduire les pertes», insiste le Vaudois.

L’instauration d’un impôt sur les gains en capitaux pourrait, quant à lui, rapporter un milliard aux collectivités publiques. Cette mesure avait été défendue en 2015 par l’ancienne ministre des finances, Eveline Widmer-Schlumpf dans le cadre de la RIE III, mais avait été enterrée par le Conseil fédéral.

Le plan C de la droite et de l’économie
La partie n’est pourtant pas gagnée d’avance. Sitôt les résultats du scrutin annoncés, l’Union suisse des arts et métiers (USAM) est montée aux barricades, faisant tout de suite savoir son opposition à ces deux mesures. Pour Roger Nordmann, elles sont indispensables pour contre-financer la baisse du taux d’imposition des bénéfices prévue dans les cantons. Le député formule une mise en garde: «Avec le refus de la RIE III, les cantons devraient aussi refréner leur envie de réduire les taux d’imposition des bénéfices», estime-t-il.

En l’absence d’une compensation financière fédérale de 107 millions, le gouvernement vaudois, qui a fixé un taux unique et harmonisé d’imposition des bénéfices à 13,8%, devrait lui aussi revoir sa copie, explique le POP vaudois, tout en défendant «le maintien des quelques compensations sociales promises au peuple». Pour sa part, l’Union des villes suisses (UVS), demande, elle aussi, un contre-financement adéquat et le passage d’une quote-part cantonale au produit de l’impôt fédéral direct de 17 % à 21,2%.

Mais attention! Avec la foire d’empoigne qui s’annonce, la droite qui rechigne à des aménagements qui exigent plus de contre-financement et moins de privilèges fiscaux, pourrait essayer de prendre la tangente comme le laisse ouvertement entendre le Tages Anzeiger. Dans les coulisses ont déjà commencé les grandes manœuvres pour contourner les inconvénients du refus populaire. Selon le quotidien zurichois proche des milieux d’affaires, la droite pourrait être tentée d’abolir rapidement les statuts spéciaux afin de satisfaire aux exigences de l’UE en matière de lutte contre le dumping fiscal, tout en ménageant aux multinationales une période d’adaptation de 5 ans à taux d’imposition bas, la Confédération compensant les pertes fiscales aux cantons.

Cette pause serait mise à profit par les parlementaires de la droite pour bricoler de nouvelles niches fiscales et autres rabais d’impôts aux grandes entreprises. En laissant du temps au temps, la droite fait le pari de rendre sa révision et ses cadeaux fiscaux plus acceptables aux yeux du peuple. «Ce plan C, c’est de la filouterie d’auberge», tranche Roger Nordmann.