Trump brise l’ordre établi en matière de commerce et de relations internationales

USA • Le protectionnisme économique défendu par le nouveau président des Etats-Unis ne peut qu’entrer en conflit
avec la philosophie libre-échangiste du capitalisme. Il est aussi lourd de dangers pour les peuples (par Eric Decarro et Christian Tirefort).

Concentrons-nous tout d’abord sur la rupture en matière de commerce international annoncée par Trump. Il a notamment fait connaître une notification d’intention valable dès sa prise de pouvoir le 20 janvier qui annonce le retrait des Etats-Unis du traité commercial transpacifique négocié par son prédécesseur avec 11 pays d’Asie et de la région. Il prend le contre-pied de la stratégie d’Obama qui voulait utiliser le commerce pour consolider l’hégémonie états-unienne et isoler la Chine.

TAFTA, le traité transatlantique actuellement en négociation entre les Etats-Unis, l’Union Européenne et un certain nombre d’autres pays, est également remis en question. Alors qu’une séance conclusive de négociation était prévue début décembre à Genève, TISA, l’accord sur les services, est aujourd’hui gelé sous la pression des Etats-Unis.
Trump va encore plus loin, il veut renégocier l’ALENA, un accord déjà en vigueur depuis 1994 entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Il considère que ces accords ont été des désastres pour les emplois, pour la richesse des Etats-Unis, donc pour les travailleurs américains.

Si ces positionnements devaient se confirmer, le président étasunien briserait l’ordre mondial libéral qui régit le commerce international depuis des décennies au profit d’accords bilatéraux censés ramener les emplois aux Etats-Unis. Ce serait un bouleversement politique. Jusqu’ici, les Etats-Unis ont essayé de débloquer le commerce mondial en court-circuitant l’unanimisme de l’OMC, laquelle est allée d’un échec à l’autre dans ses tentatives de conclure d’ambitieux accords (cf. notamment la résistance de l’Inde). Pour contourner l’unanimisme de l’OMC les EU d’Obama ont dès lors cherché à réunir des pays de leur zone d’influence afin de finaliser des accords plurilatéraux de libre-échange aux niveaux transatlantique et trans-pacifique qui feraient ensuite pression sur les autres pays membres de l’OMC. Trump veut mettre fin à cette stratégie en instaurant une politique résolument protectionniste.

Stop au multilatéralisme, vive la politique de puissance
Trump tente de s’abstraire de tout engagement multilatéral qui lierait les mains des Etats-Unis et ne serait pas à leur avantage. Cela vaut non seulement pour le commerce mais s’étend bien au-delà: toutes les institutions internationales risquent d’être concernées, en particulier celles sises à Genève (Droits de l’homme, ONU, etc.). Il a été jusqu’à déclarer que l’ONU qu’ils financent à hauteur de 28% n’était d’aucune utilité pour les Etats-Unis.
Trump est de plus favorable à un renforcement de l’arsenal nucléaire des Etats-Unis. Il remet ainsi en cause les accords visant à le réduire. De même, les engagements pris par Obama, dans le cadre de la COP 21, pour protéger l’environnement et limiter le réchauffement climatique, ont aujourd’hui du plomb dans l’aile.

De plus, il entend réorienter la diplomatie américaine en remettant en cause les principes et règles élaborés au terme de la seconde guerre mondiale. Il vient ainsi de nommer le président d’Exxon Mobil, Rex Tillerson, ministre des Affaires étrangères. Rappelons-le, ce dernier avait refusé les sanctions contre la Russie et entretenait des rapports étroits avec Poutine. Trump veut-il se rapprocher de la Russie et introduire un coin entre la Russie et la Chine? Il semble tout au moins vouloir engager une guerre commerciale avec la Chine qu’il n’hésite pas à provoquer en s’adressant directement à Taïwan. Cela remet en cause le principe «une seule Chine» entériné depuis 40 ans par les EU et l’ensemble de la communauté internationale. Il a finalement été contraint de revenir en arrière sur ce point.
Le président étasunien, dont les positions pro-Israël sont notoires, vient de nommer ambassadeur dans ce pays David Friedman, président d’une association soutenant les colonies israéliennes en Cisjordanie, à l’avant-garde du combat pour «le grand Israël».

Conséquent avec son nationalisme étroit, Trump semble aussi souhaiter que l’Union Européenne se disloque. Il fait un éloge enthousiaste du Brexit, il souhaite, voire il appelle d’autres pays à sortir de l’UE qu’il qualifie de «consortium bureaucratique» et «d’instrument de l’Allemagne».

Trump menace tous azimuts: il remet en question les accords passés avec l’Iran et avec Cuba; il n’hésite pas à subordonner les politiques de l’OTAN en Europe de l’Est au fait que les pays qui auraient besoin de protection augmentent leur contribution financière; la Pologne, l’Ukraine et les pays baltes qui, à tort ou à raison, se sentent menacés par leur grand voisin russe ont de quoi s’inquiéter.

Un programme lourd de menaces
Son programme n’est cependant pas exempt de contradictions. On voit mal comment les multinationales qui ont investi en Chine ou au Mexique, ou ailleurs dans des pays à bas salaires, accepteront de relocaliser leur production aux Etats-Unis. En effet, dans le cadre ultra-concurrentiel actuel les entreprises industrielles ont un besoin impératif d’investir, par exemple, dans les maquiladoras sises à la frontière mexicaine où les travailleurs/euses surexploité-e-s sont payé-e-s 8 dollars la journée contre 8 dollars l’heure aux Etats-Unis.

L’Etat aura beau mettre la pression sur les entreprises, il aura beau leur proposer des avantages fiscaux, par exemple des diminutions d’impôts sur les profits réalisés, des mises à disposition gratuites de terrains, des commandes d’Etat, les entreprises voudront tout, c’est-à-dire conserver les avantages des délocalisations, la main-d’œuvre bon marché, et ceux offerts par Trump pour ne pas délocaliser.

Ce dernier a déjà commencé à faire pression sur les entreprises qui veulent construire de nouvelles usines au Mexique tandis qu’elles en ferment aux EU. Il les menace d’imposer des taxes de 35% aux marchandises produites à l’étranger et importées aux USA. Ford a peut-être obtempéré, mais dans les sociétés financières l’important, ce ne sont pas les industries, c’est la finance. Lorsque les usines restées aux Etats-Unis seront en panne de commandes, elles cesseront leurs activités ou réduiront leurs investissements dans les activités industrielles ou commerciales et placeront leur argent dans le secteur financier.

Ces contradictions s’exprimeront à coup sûr au Congrès, non seulement parmi les Démocrates, mais aussi à l’intérieur du parti Républicain majoritaire dans les deux Chambres qui a toujours été «libre-échangiste».
Il faut bien le voir, l’élargissement du commerce mondial est une nécessité pour le capitalisme s’il veut surmonter ses contradictions de système qui le mènent à la stagnation. Il est surtout vital pour le capital financier qui accroît sans fin sa masse alors que ses débouchés se réduisent relativement.

La mondialisation permet non seulement de surexploiter des masses de travailleurs/euses aux quatre coins de la planète et de vendre les marchandises sur les marchés où le pouvoir d’achat des populations est plus important, mais elle exige aussi d’être capable de dicter ses règles aux flux marchands mondiaux. Ce sont ces règles qui permettent à la fois de gonfler la masse de plus-value extraite de la surexploitation des travailleurs/euses et d’en contrôler la répartition à son avantage, qu’il s’agisse des multinationales ou des Etats/Nations. Lorsqu’il s’agit de répartir les profits ces deux entités entrent nécessairement en guerre l’une contre l’autre. C’est peut-être cela que Trump sous-estime, lui qui a érigé sa fortune dans l’immobilier aux Etats-Unis, donc dans un Etat-Nation bien précis.

L’autre grand problème du capitalisme, c’est l’hypertrophie et la domination de la finance sur le capitalisme industriel et commercial qu’on appelle à tort l’économie réelle.

En fait, c’est seulement 5% de l’ensemble des capitaux circulant dans le monde qui va s’investir dans une production quelconque, alors que 95% des capitaux sont purement spéculatifs. Ces derniers circulent par-dessus les frontières du monde entier à la recherche d’opportunités de profits à rendement supérieur à la moyenne, qu’il s’agisse d’actions, d’obligations, de métaux précieux, de minerais, de pétrole, de produits financiers dérivés, de taux de change, etc., puis, au moindre signe de diminution de la rentabilité, ils se retirent avec leurs gains.

Contrairement à ce qu’on pense en général les profits issus des capitaux spéculatifs exigent d’être rentabilisés tout comme ceux investis dans la production de biens et services. C’est cette fonction qu’a le capital financier, il accroît sans fin la masse de capital à rentabiliser.

Cela exige un rendement croissant également sans fin, jusqu’au moment où le système explose, les profits deviennent alors insuffisants pour nourrir l’ensemble du capital. Cela durcit encore la course au profit et les contradictions au sein de la bourgeoisie.

Le capital ne s’arrête jamais, il vampirise tout, y compris ce qui jusqu’alors échappait encore à sa voracité: les transports publics, les systèmes de santé, l’enseignement, les transports, l’ensemble de l’activité sociale menée au travers des Etats ; plus encore, les Grecs, par exemple, ont dû vendre des parties de leur patrimoine territorial, certains ports et îles.

L’accès de Trump à la présidence des EU est un signal fort qui montre au monde entier le creusement des contradictions au sein des bourgeoisies. On ne fait pas que s’approcher du point de rupture, il est déjà là. Le retour au credo nationaliste est lourd de menaces, il y a trop de victimes, pas assez de gagnants. Tenter de remettre en cause le libre-échangisme actuel à tout prix et de développer un nouveau protectionnisme n’est non plus pas une réponse. Cela restreindrait encore les débouchés pour le capital au niveau mondial et précipiterait le système dans une crise économique qui lui ferait perdre les derniers restes de sa crédibilité. Ce serait un retour en arrière, avec le risque de guerres localisées comme en Irak ou en Libye, voire celui d’une guerre généralisée entre impérialismes rivaux comme celles déjà vécues au vingtième siècle, mais en pire.

Comme le dit le professeur québecois Charles-Philippe David, président de l’Observatoire sur les Etats-Unis, le protectionnisme de Trump et en particulier ses attaques contre l’autre grande superpuissance, la Chine, accusée de tuer les emplois aux Etats-Unis, pourrait contribuer à accroître les risques de guerre. Avec son nationalisme virulent, l’équipe de Trump au pouvoir, si elle se trouve dans une impasse, pourrait bien pratiquer la fuite en avant et nous précipiter dans un conflit mondial.

Son élection montre à la fois que les bourgeoisies nationales n’ont plus d’issue et que la caste détenant le pouvoir sur le plan supranational ne sera jamais en mesure de nous sortir du chaos dans
lequel elle nous a enfoncés. Il faudra bien que les peuples trouvent une porte de sortie. n

Le texte intégral peut se trouver sur le site www.travail-et-salariat.org