Une chanson francophone bien vivante

Chanson • Le flot de rééditions d’album des grandes maisons de disques pourrait faire penser que la production musicale se limite aux «valeurs sûres» ou autres «monstres sacrés». La création et le renouvellement de la chanson sont pourtant bien là. Focus sur quelques pépites.

De nombreuses et nombreux artistes créent, se produisent sur scène et enregistrent des albums, souvent autoproduits. Elles et ils travaillent dans les marges de la grande production et apportent un renouvellement de la chanson francophone.

Nous nous arrêterons aujourd’hui sur trois auteures, musiciennes et chanteuses dont le travail prouve que la chanson francophone est bien vivante. Leur caractéristique commune est qu’elles ne peuvent être enfermées dans un «style», des artistes qui ne se laissent pas «coller» d’étiquette.

Yoanna ou la précision des mots

Après Moi bordel! en 2008, Un peu brisée en 2012, Yoanna offre onze nouvelles chansons et un instrumental avec son troisième album Princesse, paru en 2015. Yoanna nous apporte quelque chose de neuf à chacun de ses albums. Si, à ses débuts sur scène où elle s’accompagnait à l’accordéon, elle a été qualifiée de nouvelle chanteuse réaliste, Yoanna a très vite démontré que les catégories et les classements, ben ce n’était pas son truc. Les chansonnettes à l’eau de rose non plus. Yoanna écrit et chante avec ses tripes.

Pour ce troisième album réalisé avec la complicité de Frédéric Monestier à la réalisation artistique et Marion Ferrieu au violoncelle, Yoanna à la voix et à l’accordéon nous balance ces textes ciselés au scalpel, qui parlent des blessures et des douleurs de la vie et quelques fois de ses joies.

Des arrangements et des accompagnements sobres, presque minimalistes pour mettre en valeur les textes et la voix. Les deux premières chansons Pour un con et J’ai peur donnent le ton. Yoanna, c’est la sobriété et la précision des mots. Dans ses chansons, il n’y a rien à ajouter ou à retrancher. Elle pose ses mots par touches successives pour arriver à l’œuvre finale. Votation et Le Roi sont des exemples brillants de renouvellement de la chanson politique, chanson féroce sur l’électoralisme et le clientélisme pour la première, caricature des tyrans et dénonciation des inégalités pour la seconde.

Autre chanson qui frappe juste également avec Sans couenne, le thème des exclus y est abordé de manière incisive et précise. Yoanna refuse tout misérabilisme et tout sentimentalisme pour nous balancer une chanson coup de poing. Dans ce troisième album, elle sait également aborder le registre du tendre avec des chansons comme Voici venu et Nos corps. Princesse fait partie de ces albums qui se livrent au fil des écoutes. Très éloigné de la chanson guimauve, ce troisième album de Yoanna est plutôt dans les tonalités sombres et c’est vraiment beau.

Des instantanés de vie avec Armelle Dumoulin
Troisième album également pour Armelle Dumoulin avec T’avoir connu. En 2013, son deuxième album Les Armelles Dumoulin, déjà réalisé par Antoine Sahler, avait été désigné Coup de cœur du Centre de la Chanson et Demi-finaliste du Prix Georges Moustaki. Armelle est également une des chevilles ouvrière du Festival des fromages de chèvre de Courzieu (France). Elle est entrée dans la chanson par le théâtre et la littérature et cela imprègne son travail. Pour elle, il n’y a pas de sens à écrire aujourd’hui des chansons comme elles étaient écrites il y a trente ans. L’écriture dans le domaine de la chanson doit évoluer et elle y travaille.

Dans son troisième album, réalisé avec la complicité d’Antoine Sahler, elle nous offre des instantanés de vie. Au fil des douze titres de l’album elle nous emmène et nous fait passer de la tristesse à la joie et la tendresse dans un voyage poétique et musical.

Armelle habille ses textes de musique avec beaucoup de subtilité. L’album s’ouvre sur « Ta petite âme craque: […] Alors va t’essouffler te cogner fort – Va te battre et tombe pour tenter de la remettre sur ses pieds – Avec voracité s’il te plaît ». Pour Honneur, elle liste ce qui nous rend vivant. L’originalité de l’écriture et des interprétations font également de ce troisième album un de ceux qui se déguste au fil des écoutes. Ici aussi il faut prendre le temps d’écouter et réécouter.

Armelle Dumoulin a aussi invité deux artistes, pour deux collaborations artistiques dans lesquelles l’alchimie des voix fonctionne à merveille; la première avec la comédienne Yolande Moreau pour la chanson T’avoir connu; très belle chanson sur l’absence et la seconde avec le chanteur Bertrand Belin pour Puisse le jour; très belle chanson sur l’amour. Une pointe d’ironie ici ou là, notamment avec Petit Chéri, belle parodie de la chanson d’amour à la sauce «variété – tube». Mention aussi au Label associatif «Le furieux», qui édite cet album, pour son travail d’édition d’artistes dans le domaine de la chanson.

Aux frontières du rêve avec Klô Pelgag
Enfin, un petit détour du côté du Québec avec Klô Pelgag, qui après L’alchimie des monstres, revient avec un deuxième album L’Étoile thoracique. Les sources d’inspiration de Klô Pelgag sont à rechercher dans les arts plastiques, chez des peintres comme Magritte, Dali ou Botero et pour la musique chez Debussy, Vigneault, Brel et Zappa et Vigneault; tout un programme…

Klô Pelgag nous propose, au travers des treize titres de l’album, son univers qui joue avec les frontières du rêve et parfois même l’absurde. L’inspiration du surréalisme n’est vraiment pas loin, et, pour aborder son univers, il vaut mieux au préalable renoncer à la recherche de sens logique pour se laisser prendre à ses contes étranges. Au fil des chansons, ses mots finissent par résonner en nous et révéler leur poésie «Les mains d’Édelweiss: Édelweiss, tu as peur de tout – Tu veux me monter tes armes blanches – Édelweiss, je ne voudrais pas – Que tes mains touchent la peau des anges».

Klô Pelgag est une musicienne qui, en plus des mots, utilise sa voix et la musique pour nous guider dans son univers; et il faut se laisser emporter. Pour ce deuxième album elle a fait appel à des cuivres et à un ensemble de corde. Klô Pelag est pianiste et elle joue, dans ses musiques, avec les limites de la dissonance. Ses musiques donnent les couleurs de ses paysages sonores qui contribuent à la magie du voyage. Klô Pelag est une sorte de fée de l’étrange et, le voyage qu’elle nous propose, mérite de se laisser conduire en se détachant des interprétations. Cet album mérite plusieurs écoutes car il recèle beaucoup de pépites à découvrir.

Pour conclure trois artistes qui font preuve d’inventivité et d’originalité. Trois artistes qui démontrent la créativité de la chanson francophone. Comme il s’agit, pour les deux premiers albums présentés, d’albums autoproduits. Le meilleur moyen de se les procurer est de les commander sur les sites des artistes.

Yoanna, «Princesse», 2015, Matcha, Matcha004. www.yoanna.fr/page/boutique
Armelle Dumoulin, «T’avoir connu», 2016, Le furieux. www.lefurieux.org
Klô Pelag, «L’Etoile thoracique», 2017, Coyote Records