Bientôt la fin des prisons?

Interview • Dans «La Prison en Suisse, un état des lieux», Daniel Fink livre une analyse du système pénal et carcéral suisse et de son évolution historique. Un ouvrage qui pousse à la remise en question des discours «tout sécuritaires».

Le pénitencier de Lenzburg est le dernier établissement carcéral suisse construit sur un plan en étoile (panoptique) alors que le pays en a compté une quinzaine dans son histoire, quasiment tous détruits (LDD).
Daniel Fink est chargé de cours aux Universités de Lausanne et Lucerne en statistique de la criminalité et ancien chef de la section Criminalité et droit
pénal à l’Office fédéral de la statistique.

Vous soulignez que les médias prêtent une attention sélective à la prison en dramatisant certains événements comme une fuite ou une récidive. La population s’en fait-elle une fausse image?
Daniel Fink Il y a une focalisation sur les événements tragiques. Le fonctionnement ordinaire des prisons est complètement occulté. De ce fait, la connaissance de la prison est extrêmement faible: chaque année, j’interroge mes nouveaux étudiants sur le nombre de prisons, de détenus, ou le taux de récidive. Ils n’arrivent pas à répondre, alors qu’ils ont probablement tous une idée sur la prison.

La population carcérale est-elle en augmentation ou en diminution?
Elle est en augmentation sur la période étudiée, soit les 20 dernières années, mais si l’on tient compte du fait que la population générale s’accroît également, la population carcérale est proportionnellement stable. Par ailleurs, sur le long terme, on constate que la privation de liberté est beaucoup moins utilisée aujourd’hui qu’il y a un siècle, tant pour la détention avant jugement que pour l’exécution de peines. C’est quelque chose qui me semble complètement méconnu.

Concernant la période récente, vous écrivez que l’utilisation de la peine privative de liberté a diminué suite à la révision du code pénal de 2007, qui a vu un recours plus fréquent à des peines pécuniaires ou au travail d’intérêt général. Comment expliquer dans ce cas la surpopulation persistante de certaines prisons?
Il y a effectivement eu une nette baisse du recours à la peine privative de liberté après cette révision. Et, même s’il y a eu ensuite une nouvelle augmentation de ces peines, nous sommes toujours aujourd’hui en dessous du nombre de sanctions prononcé avant la révision. Cela dit, on observe de fortes inégalités en Suisse. La Suisse romande à elle seule concentre 57% de toutes les courtes peines privatives de liberté prononcées dans le pays, alors qu’elle n’abrite que 27% de la population. Cela se reflète au niveau de l’occupation des prisons. En Suisse alémanique, la situation est relativement détendue, alors que la prison genevoise de Champ-Dollon ou celle de Bois-Mermet, dans le canton de Vaud, connaissent une surpopulation importante.

Comment expliquer cette particularité romande?
C’est une question de politique criminelle. Genève utilise abusivement la détention provisoire et Vaud a énormément recours aux peines privatives de liberté de courte durée. A Genève, la question de la petite criminalité a été politisée, notamment avec les procureurs Daniel Zappelli, puis Olivier Jornot. Un tiers de toutes les détentions provisoires prises en compte dans les jugements en Suisse sont prononcées à Genève, qui ne représente pourtant que 5% de la population! Et un tiers des personnes en détention provisoire dans ce canton seront finalement punies par une peine pécuniaire. Au regard des principes du code de procédure pénale, cela est problématique. Quel délit ont commis ces personnes pour qu’on les mette à Champ-Dollon qui est déjà surpeuplée?
Dans le canton de Vaud, il y a moins de détention provisoire, mais beaucoup de condamnations à de courtes peines privatives de liberté sans sursis.

Ces cantons ne connaissent-ils pas simplement un taux de criminalité plus élevé qu’ailleurs?
C’est sans aucun doute ce que diront certains représentants des Ministères publics. En même temps, en comparant des cantons aux caractéristiques semblables, Genève avec les deux cantons de Bâle ou le Tessin, on constate qu’on a des taux de recours à la détention provisoire complètement différents. La même chose vaut pour le canton de Vaud comparé à des cantons semblables comme Berne ou Zurich.

Face à cette situation, vous estimez qu’il ne s’agit pas de débattre de la construction de plus de places de détention, mais qu’il faut se questionner sur l’efficacité de son usage…

Les chiffres montrent qu’il n’y a pas eu de changement du taux de récidive en lien avec la diminution de l’usage des peines privatives de liberté et l’augmentation des peines pécuniaires. Pourtant, le canton de Vaud continue à prononcer des courtes peines privatives de liberté par douzaines. Cela fait-il sens? Il faudrait davantage de travaux sur ces questions, pour évaluer les politiques. De même avec la détention provisoire ….

Enfermer les gens n’a donc pas d’effet positif sur le taux de récidive?

On constate que toutes les mesures introduites pour réduire le recours à l’emprisonnement (amende, sursis, travail d’intérêt général, peine pécuniaire, etc.) ont contribué à réduire la récidive. Actuellement, sur 100’000 personnes condamnées en Suisse, seules 10’000 vont en prison. Et je pense que 3000 à 4000 d’entre elles pourraient être punies d’une peine pécuniaire ou d’un travail d’intérêt général, sans pour autant récidiver. Ce type de peine évite par ailleurs la désocialisation et la stigmatisation liées à la prison et coûte moins cher à la société.

La suite logique de cette évolution est-elle la fin des prisons?
Sur le long terme, il pourrait y avoir une forte réduction de la peine privative de liberté dans l’arsenal des sanctions. La moyenne et la petite délinquance par exemple devraient plutôt évoluer vers des peines pécuniaires, du travail d’intérêt général, la surveillance sous bracelet électronique, les mesures ambulatoires, le suivi par les services de probation.

La population et les politiques sont-ils prêts à accepter cette évolution?

Il y a une tendance à demander plus de fermeté, mais il faut se souvenir que quand les peines corporelles ont été abolies en 1799, les gens avaient peur que la criminalité augmente. Certains cantons les ont réintroduites, puis elles ont disparu dans l’histoire. De même, quand la peine de mort a été abolie en 1874, certains cantons s’y sont opposés et une pétition nationale a été lancée. Les cantons ont été autorisés à la réintroduire, mais de fait elle n’a presque plus été utilisée, jusqu’à son abolition totale. Un jour arrivera probablement où la détention ne sera utilisée que pour des cas très particuliers. C’est une thèse un peu osée, mais elle résulte d’une déduction d’historien.

Vous constatez cependant que si la prison devient un lieu appartenant à l’histoire pour les Suisses ou étrangers résidents, il n’en va pas de même pour les étrangers non-résidents…
Effectivement, la prison est devenue un instrument de contrôle des migrations et non plus un lieu de punition au sens premier du terme. 60% des personnes placées en détention provisoire sont des personnes sans lieu de résidence en Suisse. Il y a également une surreprésentation de ces personnes dans les peines privatives de liberté. Le droit pénal se profile comme un des moyens de régler l’immigration.

Vous y voyez une pratique discriminatoire…
Si un Suisse ou un étranger résident commet une petite infraction, il sera puni d’une peine pécuniaire, alors qu’un étranger non-résident sera plus systématiquement détenu (dans 75% des cas pour moins de deux jours). Il semble y avoir une sorte d’automatisme à l’encontre des personnes non-résidentes. Cela s’explique vraisemblablement par le durcissement général du climat envers les étrangers et personnes en séjour illégal. A noter qu’une enquête de 2015 a interrogé des juges à propos de leurs éventuelles pratiques discriminatoires à l’égard des étrangers. La plupart ont répondu qu’ils ne discriminaient pas mais que leurs collègues peut-être.

Daniel Fink, La Prison en Suisse, un état des lieux, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2017.