Transports maritimes, esclavage et pollutions

Environnement • Un rapport français dénonce l’impact environnemental du transport maritime en Europe ainsi que les conditions de travail catastrophiques du démantèlement des navires. Sera-t-il pris en compte? (par Gérard Le Puill, paru dans l’Humanité).

OLYMPUS DIGITAL CAMERA Les armateurs européens envoient leurs navires à la casse en Asie du Sud, où l’espérance de vie des ouvriers est de 40 ans (photo: Adam Cohn).

Un abîme sépare souvent les paroles des actes au niveau de la Commission européenne quand il s’agit d’améliorer la vie des citoyens européens. C’est aussi le cas quand il s’agit de prendre des dispositions pour lutter contre le réchauffement climatique et les pollutions. En France, le contenu du rapport du Conseil économique social et environnemental (CESE), consacré au transport maritime en Europe montre une fois de plus que la construction européenne fondée sur le libre-échange est un vecteur de pollution planétaire.

Présenté à la mi-avril, le rapport nous rappelle que la Commission avait lancé en son temps une «stratégie européenne de transport maritime de marchandises pour en faire un secteur compétitif et durable». Ce résultat devait intervenir entre 2009 et 2018. Pour y parvenir, la Commission avait mis en avant les propositions suivantes: «Réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) émanant du transport maritime; améliorer la qualité environnementale des eaux marines; optimiser la gestion des déchets d’exploitation et issus du démantèlement des navires; réduire les émissions d’oxydes de soufre et d’oxydes d’azote des navires; promouvoir un transport maritime plus écologique, en mettant en place un système d’amélioration continue de la performance environnementale du transport en modulant les taxes et redevances en fonction des efforts consentis».

Travail des enfants pour la démolition des bateaux européens au Bangladesh

Huit ans après la mise en place de ce catalogue de bonnes intentions au niveau européen, le rapport du CESE en France nous dit que les 10 Etats européens – dont le Royaume Uni- qui comptent le plus dans le transport maritime font immatriculer leurs navires sous pavillon de complaisance. Le rapport indique que «40% de la flotte mondiale appartient aux armateurs européens. Cependant, ils n’emploient que 40% de ressortissants des Etats membres et recourent majoritairement à une main-d’œuvre bon marché des pays tiers, y compris à bord des navires battant pavillon d’un des Etats membres et naviguant au sein de l’UE».

Le rapport du CESE nous précise ensuite qu’«entre 1’000 et 1’300 navires commerciaux sont démantelés chaque année, dont les deux tiers sont des navires sous pavillon européen. La majorité des sites de démantèlement sont situés en Asie du sud-est, qui regroupe 95% du secteur de la déconstruction, essentiellement en Inde (80%), au Pakistan et au Bangladesh». Dans 70% des cas, il s’agit de navires que l’on a fait échouer sur les plages de ces pays et les ouvriers (dont 20% d’enfants de moins de 15 ans au Bangladesh) travaillent dans des conditions d‘hygiène déplorables. Et le rapport de préciser: «Plusieurs mangroves protégées sont détruites pour faire place aux navires détruisant ainsi l’écosystème aquatique et diminuant ainsi les moyens de subsistance des communautés locales(….)

Sur les plages d’Asie du sud, ce sont souvent des travailleurs saisonniers, parfois sans contrat de travail en bonne et due forme, qui travaillent sur des épaves contenant une multitude de substances toxiques sans bénéficier d’aucune protection». Le rapport signale le fait que la Commission européenne a calculé les tonnes de substances toxiques auxquelles sont exposés les travailleurs et indique que «l’espérance de vie moyenne d’un ouvrier de chantiers de recyclage du sud de l’Asie est d’ailleurs estimée à 40 ans».

Dès l’année 2004, l’Organisation internationale du travail (OIT) «avait voté à l’unanimité un ensemble de critères régissant l’élimination et le recyclage des navires», rappelle le rapport du CESE. De son côté, l’Organisation maritime internationale (OMI) avait, le 15 mai 2009, adopté une convention dite de Hong Kong dont un des objectifs était «d’éliminer les accidents, les lésions corporelles et autres, effets dommageables du recyclage des navires sur la santé de l’homme et sur l’environnement». Le rapport relève ensuite que sept ans plus tard, «malgré ce corpus juridique, les Etats membres (de l’Union européenne, ndlr) ne sont que deux (France et Belgique) à avoir ratifié la convention de Hong Kong et la plupart des navires battant pavillon européen sont toujours démantelés en Asie sans se préoccuper des conditions de travail des ouvriers et sans contrôler le respect des normes environnementales». C’est ça aussi l’Europe du capital chère au cœur de Fillon et de Macron.

Harmoniser les procédures de sanctions
Le transport maritime émet 1 milliard de tonnes de CO2 par an, soit environ 3% des émissions mondiales, toutes activités confondues. Mais pour des raisons liées à la réduction du coût des transports en mer, il utilise des carburants à teneur très élevée en soufre. Il s’agit du fioul lourd (HFO) «carburant 3’500 fois plus polluant que le diesel et l’essence», dit le rapport du CESE qui ajoute cette information très révélatrice en page 61: «Plusieurs ONG ont évalué la pollution de l’air d’une ville portuaire comme Marseille en 2015 et 2016. En ville, la pollution est de 5’000 particules ultrafines par centimètre cube. Dans les quartiers résidentiels voisins du port, l’air était 20 fois plus pollué et à bord des navires 70 fois plus pollué».

Dans ses conclusions sur le transport maritime dans les pays membres de l’Union européenne, le rapport du CESE note que «le principal enjeu est le manque d’harmonisation concernant la mise en œuvre de la directive 2009/16 sur les contrôles (…) Une attention particulière doit être portée sur les points suivants: éviter les distorsions de concurrence entre les ports européens; mieux prendre en compte la dimension sociale dans les contrôles réalisés, notamment en ce qui concerne la capacité d’analyser l’état de fatigue des équipages; travailler également à l’harmonisation des procédures de sanctions ainsi que du niveau des pénalités».

La grenouille de Malte plus grosse que le bœuf de Chine

Dans une annexe du rapport concernant les «données sur le secteur maritime», on trouve un tableau des vingt premiers pavillons mondiaux classés suivant le nombre de navires immatriculés et le tonnage transporté. Panama arrive en tête, devant le Libéria et les Iles Marshall. Le premier pays européen est l’île confetti de Malte. Elle se situe à la septième place alors que la Chine est seulement neuvième. C’est l’histoire de la grenouille qui se fait plus grosse que le bœuf sans toutefois éclater. On découvre aussi que l’île de Man, qui n’est pas un pays, arrive douzième, juste derrière le Japon. La France ne figure pas dans ce top 20 et la Grande Bretagne, entourée par la mer est avant dernière devant la Tanzanie.

Reste à savoir maintenant si le rapport de qualité publié la semaine dernière par le CESE sera utilisé pour tenter de faire bouger les choses, où s’il sera rangé aux archives et oublié le plus vite possible afin de faire perdurer le laisser faire au niveau des pays membres de l’Union européenne.