«Répondre aux électeurs du FN plutôt qu’au FN»

Interview • Marine Le Pen écartée, l’extrême droite n’en reste pas moins renforcée. Gaël Brustier, politologue, donne à voir comment lutter efficacement contre le FN (Propos recueillis par Audrey Loussouarn, paru dans L’Humanité).

Le FN a été écarté dimanche dernier mais ressort renforcé de cette élection. Quelle analyse en faites-vous?
Gaël Brustier Tout d’abord, qu’il n’est pas nécessaire ni souhaitable de répondre au FN en permanence. Se positionner par rapport au FN, qui met en avant ses thèmes dans le débat public, n’est pas répondre à la crise. Fonctionner de cette manière n’est pas non plus du ressort de la lutte idéologique: c’est une solution à l’agenda fixé par le FN. En se mettant en contradiction par rapport au FN, ses adversaires ratent l’étape fondamentale de leur positionnement sur les enjeux de la crise. Il faut, en ce sens, répondre plutôt aux électeurs du FN, en donnant ses propres réponses aux préoccupations des citoyens, qui jusqu’ici n’avaient pas de réponse.

Vous parlez du FN comme d’un «rentier du malheur». À partir de là, sur quoi doit se baser la future bataille culturelle et idéologique?
La question sociale a été au cœur des attitudes électorales. L’articulation de la contestation sociale et démocratique par la gauche radicale est la meilleure manière de donner d’autres projets et perspectives, donc de combattre le FN. L’acquis de cette campagne: la France insoumise a prouvé qu’on pouvait faire reculer le FN en tenant un discours progressiste. Un exemple: Marine Le Pen était donnée à 52% chez les ouvriers, elle a obtenu dix points de moins au premier tour. Le FN a été habile car, au fond, aucun de ses électeurs ne croit que ce parti va améliorer la situation. Simplement, il articule le tout sur un plan symbolique, comme une petite consolation, car ce sera toujours mieux que de voter pour les sociaux-démocrates ou la droite libérale. C’est sur cette idée que s’est basé le FN, comme partout en Europe, d’ailleurs.

Ce qui change depuis la crise de 2008, c’est que les groupes sociaux les plus diplômés en subissent les conséquences matérielles. Leur colère, dont Nuit debout a été le précipité, vient de la fragilisation économique de personnes que leur diplôme ne protège plus. Cela induit des formes de colère et d’insatisfaction et débouche sur une forme de radicalité de la contestation qui s’impose dans le débat politique avec une demande progressiste. Au contraire du FN, la gauche radicale a un groupe social dynamique qui peut être au cœur d’une coalition sociale. C’est ce qui ressort des votes Mélenchon et Hamon et de leurs campagnes qui ont imposé leurs thèmes. La gauche est finalement dans une défaite d’avenir, très prometteuse.

Justement, avec le gain de voix du FN en cinq ans, n’est-il pas temps pour le PS de se remettre en question?
Le problème du PS est qu’il est en état de mort cérébrale. Sa remise en question n’est donc plus le sujet, à côté des sept millions d’électeurs de la France insoumise. La question de la social-démocratie, d’une culture de gouvernement et d’une certaine forme d’articulation de la production et de l’émancipation est encore présente. Elle va reprendre forme différemment. Les Français ont réalisé pour le PS l’inventaire du quinquennat Hollande. Déjà, lors de la primaire, le cœur de son électorat a imposé un candidat au programme aux antipodes de ce que sont Hollande et Valls.

On commence à entrevoir ce que va être le paysage politique et idéologique pour les temps à venir. Au fond, la Ve République est en crise de régime, et cela va se poursuivre. L’ascension de Macron avait pour but de passer par pertes et profits le système partisan et de lui substituer un parti central. Il a pourtant un problème: sa coalition sociale plutôt optimiste et éduquée est très friable.