La programmation du Théâtre de Vidy en question

Théâtre • Presse, courrier de lecteur, interpellation au conseil communal de Lausanne se sont fait l’écho d’avis divergents sur les choix de Vincent Baudriller à la tête de la principale scène théâtrale de la capitale vaudoise. Celui-ci vient de présenter son nouveau programme.

Certes il n’allait pas être facile de succéder à René Gonzalez à la tête de ce Théâtre au bord de l’eau (ainsi qu’il l’appelait) tant les spectateurs s’étaient attachés à ce qui était devenu «leur» scène et à son directeur. Vincent Baudriller, arrivant en 2013, n’a pas caché dès le départ qu’il y aurait du changement. «Il faut donner au public ce qu’il n’attend pas». Il avait déjà suscité la polémique au festival d’Avignon, qu’il a dirigé avant de venir à Lausanne. Et c’est précisément un certain René Gonzalez qui avait alors fustigé ce festival «marqué par l’autisme et l’onanisme triomphants», prenant son public en otage «par ces véritables attentats à la vérité, à l’intelligence, à la modestie, à l’humilité, à la dignité tout simplement». Il ne se doutait pas alors que Vincent Baudriller prendrait sa succession à Vidy! A noter que René Gonzalez ne craignait pas la modernité, mais une modernité qui, si elle interpellait, osait aussi des soirées moins expérimentales et moins agressivement provocantes.

S’approprier les nouvelles technologies
L’actuel directeur veut un théâtre d’aujourd’hui, un théâtre en métamorphose, qui s’empare des nouvelles technologies, cherche de nouveaux langages, mêle tous les arts, se crée souvent en répétition sur le plateau, propose des performances qui se réinventent chaque soir, inclut le public dans certaines mises en scène. Ce théâtre s’approprie aussi (pour reprendre le verbe employé par Vincent Baudriller) des textes d’écrivains – trop peu nombreux au goût d’anciens habitués de Vidy – dans des versions cependant qui ne font pas toujours l’unanimité.

Il est certain que tout le monde n’a pas envie de sortir son smartphone (pour autant qu’il en possède un), mettre un casque sur la tête, des tampons dans les oreilles pour supporter la débauche de décibels, ni de monter lui-même sur scène ou être interpellé publiquement. Par ailleurs, il est vrai aussi que bien des mises en scène provocatrices, gore, trash, lassent et n’ont en fait rien de très nouveau, sinon peut-être pour les plus jeunes générations: Godard, Béjart avaient déjà tout inventé.

Privilégier la créativité et la rencontre entre générations
Ceci dit, on peut se passionner pour les remises en question, les questionnements, les réflexions que suscitent le théâtre actuel, les spectacles de metteurs en scène et d’acteurs qui ne se contentent plus d’être des interprètes mais se font ou se croient auteurs. Cependant, un art qui privilégie la créativité, la spontanéité, l’improvisé a ses limites. Boulez disait: «Cela cache souvent une paresse ou des schémas dépassés. La spontanéité n’est alors qu’une mémoire manipulée, un peu trafiquée, en réalité prisonnière de ce qui nous a précédés.»

Pour Vincent Baudriller, il est évident que l’important, la marque du succès, de l’intérêt du public, ce sont les discussions qui s’engagent après le spectacle, le rajeunissement d’un auditoire où l’on voit maintenant se côtoyer quatre générations que la programmation nouvelle a attirées ou fait revenir à Vidy, avec un taux d’occupation de 82%.

Par ailleurs, il rappelle que son mandat de directeur est d’assurer une dimension internationale, déjà acquise du reste par son prédécesseur, au Théâtre de Vidy, de faire cohabiter des créateurs européens, romands et alémaniques, ce qui explique un certain nombre de soirées (quatre) en langue étrangère, surtitrées. On n’aime ou on n’aime pas. Du Shakespeare, Richard III en l’occurrence, donné en allemand, peut laisser perplexe, fut-ce sous l’égide d’Ostermeier (précisons que le spectacle se donnera à l’Opéra de Lausanne, un théâtre à l’italienne étant requis).

De Vincent Macaigne à Molière
La saison s’ouvrira par une comédie burlesque et tragique de Vincent Macaigne Je suis un pays, parallèlement à une performance avec l’artiste finlandais Ulrich von Sidow. Et se succéderont le Mapa Teatro de Colombie, l’El Conde de Torrefiel de Barcelone, la chorégraphe algérienne Nacera Belaza, l’acrobate parisien Johann Le Guillerm, mais aussi des créateurs d’ici comme Augustin Rebetez, Emilie Chariot, Yasmine Hugonnet, deux jeunes artistes de la Manufacture. Oscar Gomez Mata présentera une comédie, Le Direktor, d’après Lars von Trier; Ludovic Lagarde montera L’Avare de Molière. Jean-François Peyret réinterprétera Frankenstein et David Marton La Somnanbula de Bellini. La deuxième partie de la saison de février à juin annonce déjà, entre autres, Marielle Pinsard, Mathieu Bertholet, Martin Zimmerman, Milo Rau.