Si l’on a pu sauver les banques de la crise, on doit pouvoir aussi sauver le climat

Climat • Dans le cadre du Festival international du film sur les glaciers qui s’est tenu à Genève, le climatologue et glaciologue Jean Jouzel, reconnu mondialement pour ses analyses de la fonte des glaces de l’Antarctique et du Groenland, a alerté une nouvelle fois sur les risques du réchauffement climatique et océanique.

Selon le scientifique français, le pic mondial d’émissions de gaz à effet de serre doit être atteint et se stabiliser d’ici trois ans (photo: Mathieu Delmestre).

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«Tout a été dit dès le premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) en 1990, qui soulignait que dans le cas où aucune mesure n’était prise, on pourrait assister à une augmentation de 3° d’ici 2100 de la température terrestre, avec une augmentation de la hauteur des mers de 65 cm», assure Jean Jouzel, ancien vice-président du Giec et Prix Nobel de la paix 2007, en préambule de sa conférence.

Ce premier rapport soulignait expressément que la concentration dans l’atmosphère des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, chlorofluorocarbones, protoxyde d’azote), qui renforce l’effet de serre naturel, était due essentiellement aux activités humaines. Depuis 200 ans, le CO2 a augmenté de 40%, alors que le protoxyde d’azote, dont 2/3 tiers provient de l’agriculture (engrais, fumier), a progressé de 20% depuis l’ère préindustrielle.

Des COP annuelles depuis 1992
A partir de ce premier rapport et du Sommet de la terre de Rio en 1992, où est ratifiée la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, des Conférence des parties (Etats signataires) à la convention (COP) se déroulent annuellement dans le monde. La COP3, qui s’est tenue à Kyoto en 1997, a mis en place un Protocole pour la période 2008-2012, soit un accord international visant à la réduction des émissions de gaz à effets de serre, mais «sans la ratification des USA de George W. Bush», rappelle le scientifique.

En 2009, la COP15 de Copenhague, qui a discuté de la prolongation du Protocole de Kyoto pour la période 2013-2024, débouche sur des résultats mitigés. Si l’objectif de limiter l’augmentation de la température de 2% d’ici la fin du siècle a été ratifié et le principe d’un Fonds vert, doté de 100 milliards de dollars à partir de 2020 pour aider les pays du Sud à s’adapter, a été accepté, seuls 15% de pays émetteurs avaient pris des engagements à cette date. Avec la COP21 de Paris en 2015, l’ensemble des délégués a signé finalement un accord international sur le climat, applicable à tous les pays, fixant comme objectif une limitation du réchauffement mondial entre 1,5° et 2° d’ici 2100. Tous devront détailler dès 2018 leurs outils pour atteindre ces objectifs. Voilà pour la théorie.

Pour atteindre ces objectifs de réduction, il faudrait cependant que le pic d’émissions de gaz à effet de serre survienne et se stabilise au plus tard en 2020, estime le scientifique. «Comme l’a reconnu le Giec en 2007, il faudrait diminuer de 40 à 70% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 et atteindre la neutralité carbone d’ici à 2100», précise-t-il, tout en désignant de nouvelles menaces. «La volonté de Donald Trump de se retirer de l’accord de Paris est catastrophique, car il pourrait inciter des pays qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre à limiter leurs efforts», estime Jean Jouzel. Il faut aussi ajouter que l’accord de Paris n’a pas inclus dans son programme la réduction des émissions de gaz à effet de serre des secteurs maritime et aérien.

Pointes de températures à 50-55°
La situation urge pourtant. Dans un récent Rapport sur le climat de la France au XXIe siècle, rédigé par plusieurs scientifiques de Météo-France ou de l’Institut Pierre-Simon Laplace, sous la direction du conférencier du jour, différentes simulations ont été établies. Celui-ci envisage pour la période 2071-2100 des hausses 0,9° à 1,3° pour le scénario de plus faibles émissions dans l’Hexagone, mais pouvant atteindre de 2,6° à 5,3° en été pour le scénario de croissance continue des émissions. «Il pourrait y avoir des journées de canicule à 50-55° dans certaines régions comme l’Est. Avec de telles températures, les travaux et activités à l’extérieur deviennent impossibles, les risques sanitaires augmentent», souligne Jean Jouzel. Avec un sol devenu sec, les feux de forêt, qui avaient détruit 70’000 hectares en 2003, année de canicule, s’étendront à des régions comme le centre ou l’ouest dès 2050.

Observateur lucide de l’évolution climatique, Jean Jouzel ne veut pas sombrer dans le pessimisme. «Sortir de l’énergie fossile est techniquement possible et économiquement viable, même si ce sera très difficile. L’économie mène le monde. Il faut donc rendre attractifs les investissements dans les énergies renouvelables, montrer qu’ils créeront des emplois», annonce-t-il, estimant qu’à l’échelle planétaire, 50% de l’énergie pourrait venir du renouvelable en 2050 si les Etats le veulent bien.

C’est bien là où le bât blesse. «En France, la nouvelle loi sur la transition écologique est excellente, mais sa mise en œuvre est loin d’être à la hauteur. Il sera très difficile d’atteindre l’objectif de 23% d’énergie renouvelable en 2020», tempère-t-il. Comment faire pour bouger les politiques publiques? Il croit en l’incitation notamment auprès des citoyens pour qu’ils deviennent éco-responsables, mais aussi à l’imposition contraignante, par exemple, en taxant plus lourdement le prix du CO2. «Il faut jouer sur les deux tableaux», tranche-t-il.

Pour un Tribunal international environnemental
Dans l’auditoire, Anne Mahrer, coprésidente des Aînées pour la protection du climat, veut en passer par la justice. Son association a déposé en novembre dernier une requête auprès du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (Detec) pour que la Suisse s’engage à réduire drastiquement les émissions de CO2 pour préserver la santé des femmes âgées. Après le refus du Département d’entrer en matière, l’association a déposé fin mai un recours contre la décision au Tribunal administratif fédéral.

Des mouvements similaires ont aussi déposé des plaintes pour imposer la justice climatique en Nouvelle-Zélande, aux USA, en Belgique, en Norvège ou aux Philippines. «Pour l’instant, il existe des tribunaux fictifs comme le tribunal international Monsanto, qui a condamné la multinationale à La Haye en avril. Il faudrait mettre en place un vrai tribunal international environnemental», acquiesce Jean Jouzel. Il approuve aussi l’action des militants qui demandent des comptes aux grands établissements financiers et aux banques dans leur politique d’investissements dans les énergies fossiles. «Je partage l’avis de l’économiste Pierre Larrouturou, qui estime que si l’on a trouvé 3’000 milliards d’euros pour sauver les banques de la crise financière, il est possible de trouver 1’000 milliards pour sauver le climat», suggère, sous les applaudissements, Jean Jouzel.